- Hypnose et thérapie systémique en soins palliatifs.
- Le temps passe, se fige et s'ouvre dans le mouvement de la vie.
- La présence. Dr Adrian CHABOCHE pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
- Travailler sur les interactions pour favoriser un changement.
- La puissance thérapeutique de la relation humaine.
PARIS: Formation Intégrative en EMDR - IMO 3ème session.
Formation Certifiante et validée par France EMDR IMO ®.
Formation en EMDR - IMO avec l'Intégration d'éléments d'hypnose ericksonienne, de thérapie brève orientée solution et des mouvements oculaires de type EMDR - IMO, dans le cadre du psychotraumatisme.
Formation réservée aux professionnels de santé, psychologues non formés ou initiés à l’hypnose.
Une co-Animation des Instituts Hypnotim (Laurence ADJADJ) et CHTIP * In-Dolore (Laurent GROSS).
]b
Session 3, 3 jours : approfondissement et supervision en EMDR - IMO à partir de cas cliniques
- Approfondissement et supervision à partir de cas cliniques
- Notions de psychopathologie.
- Connaître les contre-indications à la pratique de l’EMDR-IMO
- Comment évaluer cliniquement un patient afin de sécuriser à minima la pratique de ces techniques.
- Comment mener un entretien d’évaluation préalable à ces techniques.- Utiliser la thérapie EMDR - IMO au-delà du trauma et renforcer les changements.
- Acquérir une approche transversale de l’EMDR - IMO, l’approche des 4 carrés.
- Présentation orale par chaque participant d’un travail sous forme d’un cas clinique élément validant de la formation.
Formations EMDR sur ce site
https://www.formation-hypnose.com/Formation-EMDR-IMO-Therapie-Integrative-du-Psychotraumatisme-9-Jours_a239.html
Inscription sur le Catalogue de Formation de IN-DOLORE
.
7 rue Omer TALON du 14/05/2025 00h00 au 16/05/2025 23h50
https://www.formation-emdr.fr/formation_emdr_8j/
Formation en EMDR - IMO avec l'Intégration d'éléments d'hypnose ericksonienne, de thérapie brève orientée solution et des mouvements oculaires de type EMDR - IMO, dans le cadre du psychotraumatisme.
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Fanny TRICHET.
A Montmorency 95150, Thérapeute EMDR - IMO,
Infirmière,
et Hypnothérapeute.
Mon parcours atypique m'a confirmé l'importance du lien corps esprit.
Esthéticienne puis aide-soignante auprès d'enfants malades, je me suis familiarisée avec les pratiques psychocorporelles.
Je décide ensuite de reprendre mes études d'infirmière et ce n était que le début.
Commençant à travailler en psychiatrie, j'utilise alors les soins esthétiques en complément. Je me forme ensuite par un Diplôme Universitaire en Santé Intégrative et pratiques psychocorporelles. C'est la révélation lorsque je m'initie à l'hypnose.
J'entame donc ma formation et pratique ce merveilleux outil auprès des patients en CMP. Prenant en charge beaucoup de patients souffrant de psychotraumatismes, j'ai souhaité tout naturellement continuer à me former en EMDR - IMO dans un institut Certifiant, Membre de France EMDR-IMO ®.
Mon expérience me montre à quel point cette thérapie EMDR - IMO est efficace et notamment pour des patients pris en soin en oncologie, pour des douleurs chroniques. Aujourd'hui je me lance en libérale pour apporter une offre de soin plus large et j'utilise toute ses thérapies pour accompagner dans une démarche personnelle de changement, pour aider à se libérer émotionnellement et retrouver ses ressources .
Consultations: 8, haut rue du marché
95150 Montmorency
06 74 11 61 45
Formations: Formation au CHTIP Collège Hypnose & Thérapies Intégratives de Paris, et à l'Institut IN-DOLORE.
Formation en EMDR IMO à France EMDR IMO avec Laurent GROSS & Laurence ADJADJ
Inscrite au Registre des Praticiens EMDR - IMO de France sous le numéro 231106009
Infirmière,
et Hypnothérapeute.
Mon parcours atypique m'a confirmé l'importance du lien corps esprit.
Esthéticienne puis aide-soignante auprès d'enfants malades, je me suis familiarisée avec les pratiques psychocorporelles.
Je décide ensuite de reprendre mes études d'infirmière et ce n était que le début.
Commençant à travailler en psychiatrie, j'utilise alors les soins esthétiques en complément. Je me forme ensuite par un Diplôme Universitaire en Santé Intégrative et pratiques psychocorporelles. C'est la révélation lorsque je m'initie à l'hypnose.
J'entame donc ma formation et pratique ce merveilleux outil auprès des patients en CMP. Prenant en charge beaucoup de patients souffrant de psychotraumatismes, j'ai souhaité tout naturellement continuer à me former en EMDR - IMO dans un institut Certifiant, Membre de France EMDR-IMO ®.
Mon expérience me montre à quel point cette thérapie EMDR - IMO est efficace et notamment pour des patients pris en soin en oncologie, pour des douleurs chroniques. Aujourd'hui je me lance en libérale pour apporter une offre de soin plus large et j'utilise toute ses thérapies pour accompagner dans une démarche personnelle de changement, pour aider à se libérer émotionnellement et retrouver ses ressources .
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Traitement du trauma chez le sujet âgé. Sophie RICHET-JACOB pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 76.
TRAVAILLER AVEC LES SENSATIONS ET LES ÉMOTIONS SOPHIE. Entre fourmillements des pieds, boule à neige et Playmobils parachutistes, présentation de trois cas cliniques pour illustrer le traitement par l’hypnose du trouble du stress post-traumatique (TSPT) chez les personnes âgées.
Pierre Janet (1889), élève de Charcot à la Pitié-Salpêtrière, psychologue français, est l’un des précurseurs de l’utilisation de l’hypnose dans la thérapie de patients souffrant de syndrome psychotraumatique. A son époque, il énonçait qu’une thérapie purement verbale serait de peu d’efficacité car le trauma ne serait pas encodé verbalement mais sous la forme d’une empreinte corporelle. Le traumatisme se formerait à cause du trop d’excitation physique et émotionnelle.
Selon lui, ce trop d’excitations (saturation des sensations, émotions... dans le corps) serait mis à l’écart par l’organisme grâce au mécanisme de dissociation. La partie de la conscience liée au souvenir de l’événement traumatique serait isolée du reste de la conscience, comme un corps étranger entré par effraction dans le psychisme, provoquant ainsi des comportements automatiques inadaptés sans liens avec le reste de la conscience. C’est comme si la menace traumatique était toujours présente.
Dans sa pratique, pour traiter le trauma, il utilisait l’hypnose en modifiant la réalité de l’événement traumatique en terminant une action jusque-là inachevée par l’utilisation d’un scénario réparateur. Dans la théorie actuelle, selon Peter Levine, face à un danger ou une menace, il existe trois types de défense : la fuite, le combat et l’immobilisation. Il soutient que c’est l’association du figement et de la peur qui va entraîner le traumatisme. En situation de menace, la réaction d’immobilisation ou de figement est bénéfique pour la survie de l’individu. Cependant, le problème survient lorsque ce mécanisme de figement persiste au-delà de la situation de menace, comme si celle-ci était toujours présente. Stephen Porges (2021), concepteur de la théorie polyvagale, explique que si l’énergie accumulée pendant le trauma n’a pas été évacuée, alors des troubles biologiques, émotionnels, psychologiques et comportementaux vont apparaître.
LE TROUBLE DU STRESS POST-TRAUMATIQUE (TSPT) CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE (1).
Dans la population âgée, la prévalence du TSPT est sous-estimée (Helmer, 2016) en raison de la symptomatologie spécifique de ce syndrome – anxiété, agitation, troubles du sommeil, appétit, troubles de la mémoire – qui peuvent faire évoquer d’autres signes du vieillissement.
LE TRAITEMENT DU TSPT CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE.
Je vais vous présenter ci-dessous ma pratique actuelle pour traiter les traumas auprès des sujets âgés. Elle s’est particulièrement fondée à partir de mes différentes formations, de mes lectures, de mes observations cliniques. Elle est continuellement en mouvement. Cette présentation illustre mon expérience et ma pratique clinique.
1. La stabilisation et la réduction des symptômes : construire un sentiment de sécurité et de confort.
Au-delà du travail que le thérapeute effectue pour créer l’alliance et l’accordage entre le thérapeute et le patient en thérapie, Bessel van der Kolk (2014, 2018) mentionne qu’on ne travaille pas sur un trauma sans avoir mis au préalable le patient dans un état de sécurité interne. Il stipule qu’« associer des sensations intenses au réconfort, à la sécurité est le fondement de la capacité à s’autoréguler, à s’apaiser ». Par exemple, pour ce faire, je propose au patient de choisir un lieu de sécurité en y associant les sensations de confort et de sécurité.
2. Le traitement des souvenirs traumatiques.
Dans une grande majorité des situations, j’effectue le traitement des souvenirs traumatiques chez le sujet âgé en intégrant les mouvements oculaires - IMO (Beaulieu, 2013), l’hypnose conversationnelle stratégique, particulièrement à partir des concepts de Pierre Janet (1889) et Gérald Brassine (2023) et en prenant en compte les aspects psychocorporels.
Les mouvements oculaires.
Il existe différentes thérapies par mouvements oculaires.
L’une des plus connues est l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, ou plus couramment appelée EMDR, d’après l’anglais « Eye Movement Desensitization and Reprocessing » (Shapiro, 1987). Pour ma part, j’utilise l’intégration par les mouvements oculaires - IMO (Beaulieu, 2013).
Dans cette méthode, le thérapeute réalise différents mouvements lents, alternatifs et bilatéraux. Les mouvements réalisés de la main sont horizontaux, verticaux, obliques. Le thérapeute évoque la problématique au cours de la réalisation des mouvements. Le patient suit les doigts du thérapeute puis, après chaque mouvement, il est invité à évoquer ses pensées, images, émotions et ressentis. Cette thérapie permet d’atténuer les pensées, images, émotions et sensations négatives plus rapidement et permet également au corps de décharger l’énergie cumulée lors du trauma et qui n’a pas pu être évacuée comme l’évoque Stephen Porges.
L’hypnose conversationnelle stratégique : changement de scénario.
Pourquoi utiliser le changement du scénario en hypnose ? Les souvenirs ne sont pas maintenus dans leur intégrité, mais ils sont formés et réécrits à chaque fois qu’on y accède (Nader, 2022, cité par Levine). L’équipe de Johannes Gräff (Khalaf et al., 2018) a montré que la clé pour le traitement d’un traumatisme repose dans les mêmes cellules que celles qui stockent ce traumatisme. Dans le cadre d’un traitement, le souvenir traumatique n’est pas inhibé, mais le souvenir est réécrit. En état de frayeur ou en phase de résilience, ce sont les mêmes cellules qui sont activées dans une zone de l’hippocampe appelée le gyrus denté. Dans le cadre de ce changement de scénario, ce que Pierre Janet nommait « restructuration », je le propose sur la base d’une hypnose conversationnelle stratégique. Les éléments traumatiques sont transformés et miniaturisés comme le proposent Gérald Brassine et Nadia Tonglet (2023), externalisés et mis à distance en proposant par exemple au patient d’imaginer face à lui un petit écran. En effet, le patient est invité, à partir de la mise en scène, à terminer ou modifier l’action initiée ou bloquée lors du trauma et dont l’issue est favorable. Il s’agit d’une remise en mouvement, de mener à terme des actions jusqu’ici inachevées, et permettre ce que Pierre Janet nommait un « Acte de Triomphe » (Ogden, 2021). Très souvent, il est nécessaire d’utiliser des actions de type « combat ou fuite ». C’est l’action qui va permettre la résolution du traumatisme. Il peut également être proposé de modifier des perceptions (VAKOG) qui apparaissent perturbantes pour le patient. Prise en compte des aspects psychocorporels J’utilise une hypnose psychocorporelle en m’appuyant :
• Sur une méthode, encore peu connue en France, nommée Haptic Gamma Embodiement (HGE) développée par Marcelo Muniz. Elle permet de prendre en compte les retenues du corps, la gravité, les ancrages, le soutien du corps... • Sur la technique de la pendulation proposée par Peter Levine. J’invite le patient à observer et ressentir la sensation désagréable, puis à se focaliser sur une zone confortable du corps. Pour ma part, je propose toujours les pieds. Cliniquement, j’ai observé qu’une majorité de patients vont décharger cette énergie dont parle Stephen Porges sous la forme de fourmillements, froid, chaleur, picotements, tremblements... par les pieds.
• Sur la focalisation des mouvements, des sensations et des émotions : les informations du trauma sont en grande partie encodées dans le système limbique, le tronc cérébral et le corps. Pour cette raison, les comportements et les souvenirs ne peuvent pas être changés en modifiant simplement les pensées. « Il faut aussi travailler avec les sensations et les émotions – avec la totalité de l’expérience pour guérir les traumatismes » (Levine, 2019). Cette méthode permet une régulation du système nerveux autonome de manière suffisamment douce.
VIGNETTES CLINIQUES
Vignette clinique 1 : trauma de guerre 1939-1945.
Monsieur Stefano, âgé de 86 ans au moment de la thérapie, a vécu en 1944 des événements tragiques : ce jour-là, ses frères ont perdu la vie dans un bombardement qui a frappé la cour de leur domicile. Monsieur Stefano se trouvait derrière la maison au moment où la bombe est tombée dans la cour et a été témoin de la scène dévastatrice. Il éprouve des flashbacks quotidiens de cette scène tragique depuis 77 ans. Il se remémore le bruit sourd de la bombe qui tombe et l’image d’un voisin portant le corps de l’un de ses frères. L’émotion liée à ces souvenirs demeure intense.
Séance 1 Lors de la première séance, j’ai effectué une séance d’Haptic Gamma Embodiment, l’accent a été mis sur les inhibitions corporelles, en particulier au niveau du haut du corps. J’ai invité dans un premier temps le patient à marcher dans la pièce. « Observez et ressentez les pieds qui contactent le sol et ressentez comment le sol touche, contacte et soutient les pieds, regardez à droite et à gauche. » Lors de cette marche, j’ai observé qu’il présentait une retenue au niveau des épaules, qui étaient comme figées et courbées vers l’avant, ainsi qu’une respiration peu profonde. Pour relâcher cette retenue au niveau des épaules, j’ai travaillé en amont avec un bâton : je tiens le bâton et j’invite le patient à le tenir également. « Observez comment les mains contactent le bâton et comment le bâton soutient les mains et les bras. » Je soulève le bâton : « Observez et ressentez comment le support soutient les mains et les bras. » Lorsque le bâton est en hauteur : « Regardez en hauteur, les yeux regardent à gauche et à droite. » Je lui propose ensuite d’expérimenter seul cette procédure. Pour travailler sur sa respiration, je l’invite à s’allonger sur une table médicale. Monsieur Stefano présente une respiration peu profonde qui s’arrête au niveau du diaphragme, il respire très peu par le ventre. Avec son consentement, j’ai apposé très délicatement ma main sur son ventre, sous le nombril : Observez et ressentez la respiration qui contacte la main et ressentez comment la main contacte la respiration. » C’est un geste qui doit être effectué avec une grande délicatesse, c’est l’une des conditions pour permettre de relâcher la retenue au niveau du ventre. Puis j’ai effectué un travail sur la respiration du haut du corps en apposant également mes mains au niveau de son thorax. L’objectif est ici d’aller dans le mouvement de sa respiration. Enfin, je l’ai invité à marcher de nouveau dans la pièce et à observer les changements.
Séance 2 Cette séance a intégré plusieurs outils : le travail avec le corps, l’intégration par l’IMO et le changement de scénario. • Travail d’ancrage : au début de la séance, nous sommes assis sur deux chaises positionnées en quinconce. Je propose au patient : « Observez et ressentez les pieds qui contactent le sol et ressentez le sol qui touche, contacte et soutient vos pieds. Observez et ressentez toute la pression du corps qui se dépose sur la chaise et observez et ressentez le sol qui soutient la chaise et la chaise qui vous soutient. » • Présence : « Je vous invite à ressentir votre présence dans la pièce. » • Espace de sécurité : en faisant un mouvement circulaire de la main : « Je vous invite à ressentir tout l’espace de sécurité entre vous et moi, à ressentir tout cet espace de sécurité autour de vous. » • Lieu de sécurité : le patient m’informe que le choix de son lieu de sécurité est l’endroit où il pratique le golf. Parallèlement, je l’invite à décrire son ressenti intérieur lorsqu’il pense à ce lieu de sécurité. Puis je commence les mouvements alternatifs bilatéraux en évoquant la scène de manière assez vague pour ne pas trop l’activer. Il ressent particulièrement une pression au niveau du thorax. J’effectue comme indiqué précédemment une pendulation entre le ressenti désagréable au niveau du thorax et le ressenti des pieds. Des fourmillements ressentis sous les pieds s’intensifient et il présente une grande inspiration. Parallèlement, le ressenti désagréable au niveau du thorax s’affaiblit mais reste présent. Je continue les mouvements alternatifs bilatéraux. Au cours de la séance proposée, il reste très focalisé par le bruit sourd de la bombe. Je lui propose alors de faire une modification de ce son. Il transforme le bruit sourd de la bombe en une musique de blues. Je lui demande comment il se sent à l’intérieur. Avec surprise, il répond : « C’est différent, le ressenti n’est pas le même, je n’ai plus cette pression dans le thorax. » Je continue les mouvements alternatifs bilatéraux. Il continue à ressentir des fourmillements sous ses pieds, puis dans d’autres zones corporelles. Les fourmillements correspondent à la décharge de la tension, de l’énergie dont parle Stephen Porges (2021) qui s’est créée au moment de l’événement et qui n’a pas pu être déchargée par la suite. Certaines personnes peuvent aussi prendre une plus grande inspiration, bâiller, avoir chaud, froid, trembler...
Sophie Richet-Jacob Psychologue spécialisée en gériatrie et psychotrauma. Certifiée en hypnose, IMO (Intégration par les mouvements oculaires) et HGE (Haptic Gamma Embodiement). Elle est chargée de cours à l’université de Brest. Elle exerce au CHU de Brest dans un CRPB (Centre régional du psychotraumatisme de Bretagne) et dans un service de gériatrie ainsi qu’en libéral (Finistère).
NOTES
1. Un événement traumatique est défini selon le DSM-V par l’association de deux conditions :
- Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés, ont été menacés de mort ou de grave blessure, ou bien durant lesquels leur intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée.
- La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. Peter Levine définit le trauma comme un trouble de la capacité à être dans le moment présent et à s’engager dans une relation appropriée avec d’autres êtres humains.
BIBLIOGRAPHIE
- Brassine G., Tonglet N. (2023), « Surmonter le traumatisme, initiation à la PTR », Bruxelles, Satas.
- Levine P. (2019), « Réveiller le tigre. Guérir le traumatisme », Paris, InterEditions.
- Levine P. (2022), « Trauma et mémoire : Un guide pratique pour comprendre et travailler sur le souvenir traumatique », Paris, InterEditions.
- Porges S. (2021), « La théorie polyvagale : Fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation », EDP Sciences.
- Richet-Jacob S. (2024), « Le traitement du trauma par l’hypnose », in Perennou G. et Sirvain S., Dunod.
- Richet-Jacob S. (2024), « Hypnose et syndrome de désadaptation psychomotrice, Syndrome post-chute », Rhys 29.
- Van der Kolk B. (2018), « Le corps n’oublie rien : Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme », Paris, Albin Michel
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
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Formations sur 8 jours pour les praticiens désirant approfondir leurs compétences et bénéficier de supervisions et analyses des pratqiues.
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Selon lui, ce trop d’excitations (saturation des sensations, émotions... dans le corps) serait mis à l’écart par l’organisme grâce au mécanisme de dissociation. La partie de la conscience liée au souvenir de l’événement traumatique serait isolée du reste de la conscience, comme un corps étranger entré par effraction dans le psychisme, provoquant ainsi des comportements automatiques inadaptés sans liens avec le reste de la conscience. C’est comme si la menace traumatique était toujours présente.
Dans sa pratique, pour traiter le trauma, il utilisait l’hypnose en modifiant la réalité de l’événement traumatique en terminant une action jusque-là inachevée par l’utilisation d’un scénario réparateur. Dans la théorie actuelle, selon Peter Levine, face à un danger ou une menace, il existe trois types de défense : la fuite, le combat et l’immobilisation. Il soutient que c’est l’association du figement et de la peur qui va entraîner le traumatisme. En situation de menace, la réaction d’immobilisation ou de figement est bénéfique pour la survie de l’individu. Cependant, le problème survient lorsque ce mécanisme de figement persiste au-delà de la situation de menace, comme si celle-ci était toujours présente. Stephen Porges (2021), concepteur de la théorie polyvagale, explique que si l’énergie accumulée pendant le trauma n’a pas été évacuée, alors des troubles biologiques, émotionnels, psychologiques et comportementaux vont apparaître.
LE TROUBLE DU STRESS POST-TRAUMATIQUE (TSPT) CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE (1).
Dans la population âgée, la prévalence du TSPT est sous-estimée (Helmer, 2016) en raison de la symptomatologie spécifique de ce syndrome – anxiété, agitation, troubles du sommeil, appétit, troubles de la mémoire – qui peuvent faire évoquer d’autres signes du vieillissement.
LE TRAITEMENT DU TSPT CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE.
Je vais vous présenter ci-dessous ma pratique actuelle pour traiter les traumas auprès des sujets âgés. Elle s’est particulièrement fondée à partir de mes différentes formations, de mes lectures, de mes observations cliniques. Elle est continuellement en mouvement. Cette présentation illustre mon expérience et ma pratique clinique.
1. La stabilisation et la réduction des symptômes : construire un sentiment de sécurité et de confort.
Au-delà du travail que le thérapeute effectue pour créer l’alliance et l’accordage entre le thérapeute et le patient en thérapie, Bessel van der Kolk (2014, 2018) mentionne qu’on ne travaille pas sur un trauma sans avoir mis au préalable le patient dans un état de sécurité interne. Il stipule qu’« associer des sensations intenses au réconfort, à la sécurité est le fondement de la capacité à s’autoréguler, à s’apaiser ». Par exemple, pour ce faire, je propose au patient de choisir un lieu de sécurité en y associant les sensations de confort et de sécurité.
2. Le traitement des souvenirs traumatiques.
Dans une grande majorité des situations, j’effectue le traitement des souvenirs traumatiques chez le sujet âgé en intégrant les mouvements oculaires - IMO (Beaulieu, 2013), l’hypnose conversationnelle stratégique, particulièrement à partir des concepts de Pierre Janet (1889) et Gérald Brassine (2023) et en prenant en compte les aspects psychocorporels.
Les mouvements oculaires.
Il existe différentes thérapies par mouvements oculaires.
L’une des plus connues est l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires, ou plus couramment appelée EMDR, d’après l’anglais « Eye Movement Desensitization and Reprocessing » (Shapiro, 1987). Pour ma part, j’utilise l’intégration par les mouvements oculaires - IMO (Beaulieu, 2013).
Dans cette méthode, le thérapeute réalise différents mouvements lents, alternatifs et bilatéraux. Les mouvements réalisés de la main sont horizontaux, verticaux, obliques. Le thérapeute évoque la problématique au cours de la réalisation des mouvements. Le patient suit les doigts du thérapeute puis, après chaque mouvement, il est invité à évoquer ses pensées, images, émotions et ressentis. Cette thérapie permet d’atténuer les pensées, images, émotions et sensations négatives plus rapidement et permet également au corps de décharger l’énergie cumulée lors du trauma et qui n’a pas pu être évacuée comme l’évoque Stephen Porges.
L’hypnose conversationnelle stratégique : changement de scénario.
Pourquoi utiliser le changement du scénario en hypnose ? Les souvenirs ne sont pas maintenus dans leur intégrité, mais ils sont formés et réécrits à chaque fois qu’on y accède (Nader, 2022, cité par Levine). L’équipe de Johannes Gräff (Khalaf et al., 2018) a montré que la clé pour le traitement d’un traumatisme repose dans les mêmes cellules que celles qui stockent ce traumatisme. Dans le cadre d’un traitement, le souvenir traumatique n’est pas inhibé, mais le souvenir est réécrit. En état de frayeur ou en phase de résilience, ce sont les mêmes cellules qui sont activées dans une zone de l’hippocampe appelée le gyrus denté. Dans le cadre de ce changement de scénario, ce que Pierre Janet nommait « restructuration », je le propose sur la base d’une hypnose conversationnelle stratégique. Les éléments traumatiques sont transformés et miniaturisés comme le proposent Gérald Brassine et Nadia Tonglet (2023), externalisés et mis à distance en proposant par exemple au patient d’imaginer face à lui un petit écran. En effet, le patient est invité, à partir de la mise en scène, à terminer ou modifier l’action initiée ou bloquée lors du trauma et dont l’issue est favorable. Il s’agit d’une remise en mouvement, de mener à terme des actions jusqu’ici inachevées, et permettre ce que Pierre Janet nommait un « Acte de Triomphe » (Ogden, 2021). Très souvent, il est nécessaire d’utiliser des actions de type « combat ou fuite ». C’est l’action qui va permettre la résolution du traumatisme. Il peut également être proposé de modifier des perceptions (VAKOG) qui apparaissent perturbantes pour le patient. Prise en compte des aspects psychocorporels J’utilise une hypnose psychocorporelle en m’appuyant :
• Sur une méthode, encore peu connue en France, nommée Haptic Gamma Embodiement (HGE) développée par Marcelo Muniz. Elle permet de prendre en compte les retenues du corps, la gravité, les ancrages, le soutien du corps... • Sur la technique de la pendulation proposée par Peter Levine. J’invite le patient à observer et ressentir la sensation désagréable, puis à se focaliser sur une zone confortable du corps. Pour ma part, je propose toujours les pieds. Cliniquement, j’ai observé qu’une majorité de patients vont décharger cette énergie dont parle Stephen Porges sous la forme de fourmillements, froid, chaleur, picotements, tremblements... par les pieds.
• Sur la focalisation des mouvements, des sensations et des émotions : les informations du trauma sont en grande partie encodées dans le système limbique, le tronc cérébral et le corps. Pour cette raison, les comportements et les souvenirs ne peuvent pas être changés en modifiant simplement les pensées. « Il faut aussi travailler avec les sensations et les émotions – avec la totalité de l’expérience pour guérir les traumatismes » (Levine, 2019). Cette méthode permet une régulation du système nerveux autonome de manière suffisamment douce.
VIGNETTES CLINIQUES
Vignette clinique 1 : trauma de guerre 1939-1945.
Monsieur Stefano, âgé de 86 ans au moment de la thérapie, a vécu en 1944 des événements tragiques : ce jour-là, ses frères ont perdu la vie dans un bombardement qui a frappé la cour de leur domicile. Monsieur Stefano se trouvait derrière la maison au moment où la bombe est tombée dans la cour et a été témoin de la scène dévastatrice. Il éprouve des flashbacks quotidiens de cette scène tragique depuis 77 ans. Il se remémore le bruit sourd de la bombe qui tombe et l’image d’un voisin portant le corps de l’un de ses frères. L’émotion liée à ces souvenirs demeure intense.
Séance 1 Lors de la première séance, j’ai effectué une séance d’Haptic Gamma Embodiment, l’accent a été mis sur les inhibitions corporelles, en particulier au niveau du haut du corps. J’ai invité dans un premier temps le patient à marcher dans la pièce. « Observez et ressentez les pieds qui contactent le sol et ressentez comment le sol touche, contacte et soutient les pieds, regardez à droite et à gauche. » Lors de cette marche, j’ai observé qu’il présentait une retenue au niveau des épaules, qui étaient comme figées et courbées vers l’avant, ainsi qu’une respiration peu profonde. Pour relâcher cette retenue au niveau des épaules, j’ai travaillé en amont avec un bâton : je tiens le bâton et j’invite le patient à le tenir également. « Observez comment les mains contactent le bâton et comment le bâton soutient les mains et les bras. » Je soulève le bâton : « Observez et ressentez comment le support soutient les mains et les bras. » Lorsque le bâton est en hauteur : « Regardez en hauteur, les yeux regardent à gauche et à droite. » Je lui propose ensuite d’expérimenter seul cette procédure. Pour travailler sur sa respiration, je l’invite à s’allonger sur une table médicale. Monsieur Stefano présente une respiration peu profonde qui s’arrête au niveau du diaphragme, il respire très peu par le ventre. Avec son consentement, j’ai apposé très délicatement ma main sur son ventre, sous le nombril : Observez et ressentez la respiration qui contacte la main et ressentez comment la main contacte la respiration. » C’est un geste qui doit être effectué avec une grande délicatesse, c’est l’une des conditions pour permettre de relâcher la retenue au niveau du ventre. Puis j’ai effectué un travail sur la respiration du haut du corps en apposant également mes mains au niveau de son thorax. L’objectif est ici d’aller dans le mouvement de sa respiration. Enfin, je l’ai invité à marcher de nouveau dans la pièce et à observer les changements.
Séance 2 Cette séance a intégré plusieurs outils : le travail avec le corps, l’intégration par l’IMO et le changement de scénario. • Travail d’ancrage : au début de la séance, nous sommes assis sur deux chaises positionnées en quinconce. Je propose au patient : « Observez et ressentez les pieds qui contactent le sol et ressentez le sol qui touche, contacte et soutient vos pieds. Observez et ressentez toute la pression du corps qui se dépose sur la chaise et observez et ressentez le sol qui soutient la chaise et la chaise qui vous soutient. » • Présence : « Je vous invite à ressentir votre présence dans la pièce. » • Espace de sécurité : en faisant un mouvement circulaire de la main : « Je vous invite à ressentir tout l’espace de sécurité entre vous et moi, à ressentir tout cet espace de sécurité autour de vous. » • Lieu de sécurité : le patient m’informe que le choix de son lieu de sécurité est l’endroit où il pratique le golf. Parallèlement, je l’invite à décrire son ressenti intérieur lorsqu’il pense à ce lieu de sécurité. Puis je commence les mouvements alternatifs bilatéraux en évoquant la scène de manière assez vague pour ne pas trop l’activer. Il ressent particulièrement une pression au niveau du thorax. J’effectue comme indiqué précédemment une pendulation entre le ressenti désagréable au niveau du thorax et le ressenti des pieds. Des fourmillements ressentis sous les pieds s’intensifient et il présente une grande inspiration. Parallèlement, le ressenti désagréable au niveau du thorax s’affaiblit mais reste présent. Je continue les mouvements alternatifs bilatéraux. Au cours de la séance proposée, il reste très focalisé par le bruit sourd de la bombe. Je lui propose alors de faire une modification de ce son. Il transforme le bruit sourd de la bombe en une musique de blues. Je lui demande comment il se sent à l’intérieur. Avec surprise, il répond : « C’est différent, le ressenti n’est pas le même, je n’ai plus cette pression dans le thorax. » Je continue les mouvements alternatifs bilatéraux. Il continue à ressentir des fourmillements sous ses pieds, puis dans d’autres zones corporelles. Les fourmillements correspondent à la décharge de la tension, de l’énergie dont parle Stephen Porges (2021) qui s’est créée au moment de l’événement et qui n’a pas pu être déchargée par la suite. Certaines personnes peuvent aussi prendre une plus grande inspiration, bâiller, avoir chaud, froid, trembler...
Sophie Richet-Jacob Psychologue spécialisée en gériatrie et psychotrauma. Certifiée en hypnose, IMO (Intégration par les mouvements oculaires) et HGE (Haptic Gamma Embodiement). Elle est chargée de cours à l’université de Brest. Elle exerce au CHU de Brest dans un CRPB (Centre régional du psychotraumatisme de Bretagne) et dans un service de gériatrie ainsi qu’en libéral (Finistère).
NOTES
1. Un événement traumatique est défini selon le DSM-V par l’association de deux conditions :
- Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés, ont été menacés de mort ou de grave blessure, ou bien durant lesquels leur intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée.
- La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. Peter Levine définit le trauma comme un trouble de la capacité à être dans le moment présent et à s’engager dans une relation appropriée avec d’autres êtres humains.
BIBLIOGRAPHIE
- Brassine G., Tonglet N. (2023), « Surmonter le traumatisme, initiation à la PTR », Bruxelles, Satas.
- Levine P. (2019), « Réveiller le tigre. Guérir le traumatisme », Paris, InterEditions.
- Levine P. (2022), « Trauma et mémoire : Un guide pratique pour comprendre et travailler sur le souvenir traumatique », Paris, InterEditions.
- Porges S. (2021), « La théorie polyvagale : Fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation », EDP Sciences.
- Richet-Jacob S. (2024), « Le traitement du trauma par l’hypnose », in Perennou G. et Sirvain S., Dunod.
- Richet-Jacob S. (2024), « Hypnose et syndrome de désadaptation psychomotrice, Syndrome post-chute », Rhys 29.
- Van der Kolk B. (2018), « Le corps n’oublie rien : Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme », Paris, Albin Michel
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
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Souffrance et créativité: Blandine ROSSI-BOUCHET pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 76.
Le patient Milton Erickson sous le prisme orthophonique. Ce thérapeute hors du commun, qui a totalement révolutionné l’utilisation de l’hypnose, a surtout été un enfant puis un adolescent et un homme affligé de nombreux handicaps. Focus orthophonique sur un patient singulier : le sage de Phoenix.
L’ENFANT
Comme un synopsis de western, l’histoire débute dans le Grand Ouest et ses contrées inhospitalières. Un certain Mr Erickson, descendant d’immigrés scandinaves et originaire de Chicago, venait de quitter sa ferme du Wisconsin pour un trou perdu au fin fond du Nevada : Aurum et ses mines.
Bébé Milton y vit le jour en 1901, dans une cabane dont « trois côtés étaient en rondins, le quatrième étant la montagne ». La prospection se révélant plus délétère qu’aurifère, la famille retourna à ses racines terriennes dans le Wisconsin. C’est là que la scolarité du petit Milton mit en évidence ses troubles sensoriels et congénitaux. Il était daltonien (1) avec une dyschromatopsie au rouge et au vert ; c’était sa façon de voir jusqu’à ce qu’il remarquât certaines réactions positives de ses proches pour des couleurs neutres ou affreuses pour lui-même (seul le violet trouvait grâce à ses yeux).
Cette singularité fut certainement le début d’une autre histoire, qui occupa le reste de sa vie : la relativité de la perception. Milton était également amusique (2) et présentait une surdité aux rythmes auditifs, incapable de reconnaître une mélodie qui n’était pour lui que du bruit. Il compensa certainement cette particularité par une observation attentive des mouvements des doigts de ses soeurs sur le piano, le tempo de son rythme cardiaque, ou encore le rythme respiratoire.
Le petit Milton était surtout sévèrement dyslexique (3), raison pour laquelle il se passionna pour la langue, passant des journées entières le nez dans les dictionnaires, lui valant le surnom de « Monsieur Dictionnaire ». Son professeur essaya semble-t-il en vain plusieurs techniques pour aider son élève en difficulté. Un jour, elle écrit au tableau deux mots dont l’accolement aurait pu former le mot « gouvernement » à condition de supprimer une syllabe. Milton fixa ces deux mots et dans une sorte d’exercice d’imagerie mentale créa un pont virtuel entre les deux, une sorte d’hallucination hypnotique avec le mot « gouvernement » écrit en un seul morceau. Il venait d’expérimenter spontanément une technique de rééducation orthophonique.
En réalité, dès sa plus tendre enfance le petit Milton a cherché et surtout trouvé lui-même des solutions à chacune de ses difficultés. « Si l’ambiance de son enfance était paisible, le petit Milton n’en était pas moins handicapé, mais ces handicaps n’ont pas pour autant monopolisé la vie de famille. Que Milton soit daltonien, sourd aux rythmes musicaux et dyslexique ne semble pas avoir été traité comme une affaire d’Etat chez les Erickson », selon Dominique Megglé. De nos jours, toute la vie de la famille aurait sans nul doute été centrée sur ces soucis, reconnus comme handicaps, à tort ou à raison, par la société. Madame Erickson aurait consulté le pédiatre ou son médecin généraliste, une prescription de bilan orthophonique aurait été remise à la maman de Milton, et ce dernier aurait ensuite passé toute une batterie de tests normés et étalonnés pour s’entendre annoncer le diagnostic de dyslexie (dysorthographie associée a priori).
Des séances de rééducation (avec moult matériels et diverses techniques rééducatives plus perfectionnées les unes que les autres) auraient été mises en oeuvre par un orthophoniste pour montrer au petit patient Milton comment compenser son trouble de lecture. Ce dernier aurait ainsi bénéficié de réponses adaptées, d’une aide appropriée et n’aurait pas eu à découvrir et inventer par lui-même les nouveaux apprentissages nécessaires à la compensation de ses handicaps. Peut-être en aurait-il retiré encore plus de possibilités adaptatives, les soins orthophoniques se basant sur les ressources du patient pour révéler toutes ses potentialités compensatrices. Mais qui dit que cela n’aurait pas, au final, bridé les capacités géniales et l’inventivité induites par les handicaps qu’il lui aura bien fallu surmonter sans aucune autre aide que la sienne ?
L’ADOLESCENT
En 1919, à l’âge de 17 ans, il fut victime d’une forme grave de poliomyélite qui, après trois jours de coma, le laissa paralysé... Pendant plus d’un an, cloué durant de longues heures dans son lit puis dans un fauteuil à bascule, fort de son expérience antérieure liée à son amusie et sa dyslexie, Milton poursuivit ses expérimentations sensorielles (et hypnotiques) pour développer à l’extrême cette faculté d’observation remarquable qu’il mit au service de son « auto-rééducation ». Ses deux soeurs aînées lui enseignèrent, à leur insu, l’importance du langage non verbal, capable d’exprimer l’inverse du langage verbal. Sa plus jeune soeur, en plein apprentissage de la marche, lui permit de se remémorer ses gestes antérieurs et de les coordonner... Par la seule force de sa volonté, de sa ténacité et d’efforts acharnés, il recouvra pratiquement l’ensemble de ses capacités en moins d’un an. Si j’ose transposer cette situation une fois encore à notre réalité actuelle, Milton aurait bénéficié d’une rééducation intensive en kinésithérapie au sein d’un centre de médecine physique et de réadaptation.
Seul dans sa chambre, il aurait peu bénéficié de la présence inspirante de sa fratrie. En lieu et place, il aurait côtoyé quotidiennement d’autres patients tous plus handicapés les uns que les autres, à différents stades de leur réadaptation, chacun reproduisant les mouvements demandés par son kinésithérapeute respectif... Milton découvrit par lui-même les phénomènes de l’autohypnose thérapeutique : « Je ne pouvais même pas dire où se trouvaient mes bras et mes jambes dans mon lit. C’est ainsi que j’ai passé des heures à essayer de localiser ma main, mon pied, ou mes orteils, en guettant la moindre sensation, et je suis devenu particulièrement attentif à ce que sont les mouvements. » Avec un protocole de soin élaboré par un autre, n’ayant à observer que des patients brisés et handicapés, Milton aurait-il développé les mêmes capacités ? Se serait-il rétabli de façon aussi remarquable ?
L’ÉTUDIANT PUIS LE JEUNE MÉDECIN
De nombreuses et douloureuses séquelles physiques grevant toute possibilité pour lui de devenir agriculteur, le jeune Milton aurait pu sombrer dans la dépression, être gagné par la colère. Il aurait pu laisser le ressentiment le gagner, occuper toutes ses pensées, monopoliser toutes ses pensées... Je l’ai déjà observé chez certains patients. Il semblerait que dans la famille Erickson, le mot échec ou renoncement n’existe pas. Comme son père avait appris de ses échecs de prospecteur en changeant de vie, Milton choisit de transformer son vécu de la maladie en armes de conviction thérapeutique. Il passa de l’autre côté du stéthoscope en toute conscience : « Ensuite, quand j’ai commencé à récupérer et que j’ai pris conscience de mes handicaps, je me suis demandé comment j’allais gagner ma vie. (...) Je n’avais plus les forces requises pour être fermier, mais peut-être en aurais-je assez pour être médecin... »
Etudiant en troisième année de médecine, Milton participa au séminaire sur l’hypnose organisé par Clark Hull dans son université, qui fut le véritable déclencheur de la vocation de celui qui était déjà nommé « Monsieur Hypnose ». Refusant les procédures d’induction standardisées que souhaitait son mentor, Milton décida de mener ses propres recherches sur l’hypnose. Il continua ainsi son propre chemin en développant son empathie naturelle, sa sensibilité accrue à ressentir la souffrance de l’autre, ainsi qu’une faculté de compréhension de l’être humain dans toute sa complexité.
Quelques années plus tard, une conviction inébranlable chevillée à son corps meurtri, son doctorat en médecine ainsi qu’une maîtrise de psychologie en poche, ce médecin obstiné poursuivit sa carrière au sein de services lui interdisant la pratique de son art de prédilection. Qu’à cela ne tienne. Le défi et le contournement de la résistance étant pour ainsi dire dans ses gènes (pour preuve l’histoire du veau) (4), Milton Erickson brava l’interdiction à sa manière, tout en subtilité. Il développa envers et contre tous des techniques de communication d’allure non hypnotique très efficaces et directement inspirées de l’hypnose.
L’HOMME MÛR
Pendant la guerre, sa santé se dégrada, du fait d’allergies croissantes liées au climat humide du Michigan. En 1948, à 47 ans, des accidents allergiques gravissimes le conduisirent en réanimation. Il devait absolument partir vivre dans un climat chaud et sec pour préserver sa santé fragile. Encore une fois la vie lui jouait un sale tour, un de plus : Milton devait tout abandonner au moment où ses travaux commençaient à être célèbres et respectés... Nouveau défi en réalité ! Il s’installa dans un endroit désertique à Phoenix en Arizona, où il ouvrit un cabinet de thérapeute libéral, libéré surtout des contraintes administratives. Il démarra rapidement des consultations peu orthodoxes pour cette période d’omnipotence psychanalytique.
Le thérapeute ne devait en aucun cas se mêler de la vie sociale des patients, ni faire intervenir la sienne, ni se rendre à domicile ; il recevait toujours individuellement le client, et sa tâche était de l’aider à comprendre ce qui, dans son passé, l’avait amené aux difficultés présentes. Point final. Milton Erickson fit exactement ce qu’il voulait, ou plutôt ce qu’il pensait devoir faire dans l’intérêt de chacun de ses patients. Cette perspective thérapeutique, appelée « écosystémique » en orthophonie, l’a ainsi conduit à recevoir le couple en cas de problème conjugal, à se rendre lui-même dans la famille, ou bien à la recevoir dans son ensemble en cas de problème familial. Il fut le premier à comprendre qu’un patient ne pouvait s’expliquer en dehors de son contexte. Selon Dominique Megglé, des patients souffraient, il voulait les soulager ; rien d’autre n’avait d’importance. Plus rien ni personne ne réfrénait sa créativité.
L’HOMME RATTRAPÉ PAR LA MALADIE
En 1953, Milton Erickson subit une seconde crise de la poliomyélite qui provoqua de nouveaux déficits musculaires, aggravant encore son handicap. Il perdit l’usage des deux jambes et d’un bras. Progressivement sa voix, son instrument de travail aiguisé comme un scalpel, devint quasi inaudible, à tel point que les derniers films tournés avec lui sont sous-titrés. A notre époque Milton aurait été déclaré inapte, mis en invalidité et serait une nouvelle fois retourné en service de médecine physique et de réadaptation.
A moins qu’il n’ait préféré le libéral, la semaine s’égrainant au rythme des séances de kinésithérapie pour maintenir son autonomie physique. Milton aurait passé beaucoup de temps dans les ambulances pour bénéficier en outre de séances d’orthophonie visant à lui permettre de limiter les conséquences de sa dysarthrie et de son hypophonie.
Ces soins chronophages et énergivores lui auraient-ils laissé l’opportunité de poursuivre son travail en simplifiant davantage ses techniques afin de produire le maximum d’effet avec l’intervention la plus minime ? Les soins orthophoniques auraient-ils amélioré la communication non verbale de cet homme cloué dans sa chaise roulante ? Est-il possible de faire émerger chez un patient hypophonique, qui ne l’a jamais expérimenté auparavant, toute une diversité d’expressions du regard ou de la mimique, passant successivement de l’espièglerie à la vivacité, la fermeté, la douleur, puis la détente ou autres multiples indications hypnotiques ? J’en doute. FIN DE (SA) VIE Les dix dernières années de sa vie, Milton Erickson était perclus de douleurs. Tout effort prolongé lui était physiquement insupportable, malgré l’autohypnose.
Pour lire la suite...
NOTES
1. Le daltonisme (ou dyschromatopsie) est une anomalie de la vision affectant la perception des couleurs d’origine généralement génétique.
2. L’amusie est une anomalie neurologique dans laquelle le rythme, la mélodie et les accords de musique ne sont pas perçus ou n’ont pas de sens pour une personne d’audition par ailleurs normale. L’amusie peut être congénitale ou résulter d’une lésion cérébrale.
3. La dyslexie est un trouble du neurodéveloppement impactant la lecture, qui est reconnue comme un « trouble spécifique de l’apprentissage » ou TSA, et objet de soins orthophoniques pour permettre à l’enfant ou l’adolescent de dépasser ou compenser ce trouble. La dyslexie s’accompagne parfois de dysorthographie, qui concerne l’orthographe.
4. « Un jour, son père tente de faire rentrer un veau dans l’étable en le tirant par le licol. Plus il le tire vers l’étable, plus l’animal fait pile. Milton observe la scène et la trouve très drôle : son père suant et criant, la bête placide et immobile. Le rire sans retenue de Milton exaspère papa qui, furieux, finit par lui dire : “Eh bien, vas-y puisque tu es si fort, fais le rentrer dans l’étable !” Mis au défi, l’enfant réfléchit un bref instant, puis alors que son père continue à tirer le veau vers l’étable, prend la queue de celui-ci et se met à tirer de toutes ses forces dessus, en sens contraire, comme pour l’éloigner de l’étable. L’animal y rentre aussitôt bien sagement. Leçon de l’histoire, qu’Erickson racontera souvent : quand on doit résister à deux forces, on choisit toujours de résister à la plus faible ; la prétendue “résistance” au changement est une force à utiliser, non à combattre, et la meilleure alliée au service de ce changement » (Dominique Megglé, p. 21).
BIBLIOGRAPHIE
- Erickson M.H., Rossi E.L., Rossi S.I., « Traité pratique de l’hypnose, la suggestion indirecte en hypnose clinique », Grancher, Esclaquens, février 2006.
- Erickson M.H., « L’hypnose thérapeutique, quatre conférences », ESF Editeur, Clamecy, février 2018.
- Halay J., « Un thérapeute hors du commun, Milton H. Erickson », Desclée de Brouwer, Langres, octobre 2013.
- Megglé D., « Erickson, hypnose et psychothérapie », Retz, Paris, 2005, 3e édition.
Blandine Rossi-Bouchet dit Layuyouse Orthophoniste, autrice (ouvrage Douleur en pratique orthophonique),
enseignante au CFUO (Centre de formation universitaire en orthophonie) de Bordeaux, ainsi qu’au DIU Hypnose de Bordeaux où elle a été formée.
Elle est responsable Formation et éthique de l’association Hypnose33-Ecole bordelaise ericksonienne et a animé une Masterclass lors du 13e Forum de la CFHTB qui a eu lieu du 15 au 18 mai 2024 à Bordeaux, ainsi que 2 communications orales:
* Autohypnose: Question de Pratique & Pratique en Question.
* Hypnose en pratique orthophonique (HypnoPhonie®).
Elle est Membre de France EMDR - IMO.
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Comme un synopsis de western, l’histoire débute dans le Grand Ouest et ses contrées inhospitalières. Un certain Mr Erickson, descendant d’immigrés scandinaves et originaire de Chicago, venait de quitter sa ferme du Wisconsin pour un trou perdu au fin fond du Nevada : Aurum et ses mines.
Bébé Milton y vit le jour en 1901, dans une cabane dont « trois côtés étaient en rondins, le quatrième étant la montagne ». La prospection se révélant plus délétère qu’aurifère, la famille retourna à ses racines terriennes dans le Wisconsin. C’est là que la scolarité du petit Milton mit en évidence ses troubles sensoriels et congénitaux. Il était daltonien (1) avec une dyschromatopsie au rouge et au vert ; c’était sa façon de voir jusqu’à ce qu’il remarquât certaines réactions positives de ses proches pour des couleurs neutres ou affreuses pour lui-même (seul le violet trouvait grâce à ses yeux).
Cette singularité fut certainement le début d’une autre histoire, qui occupa le reste de sa vie : la relativité de la perception. Milton était également amusique (2) et présentait une surdité aux rythmes auditifs, incapable de reconnaître une mélodie qui n’était pour lui que du bruit. Il compensa certainement cette particularité par une observation attentive des mouvements des doigts de ses soeurs sur le piano, le tempo de son rythme cardiaque, ou encore le rythme respiratoire.
Le petit Milton était surtout sévèrement dyslexique (3), raison pour laquelle il se passionna pour la langue, passant des journées entières le nez dans les dictionnaires, lui valant le surnom de « Monsieur Dictionnaire ». Son professeur essaya semble-t-il en vain plusieurs techniques pour aider son élève en difficulté. Un jour, elle écrit au tableau deux mots dont l’accolement aurait pu former le mot « gouvernement » à condition de supprimer une syllabe. Milton fixa ces deux mots et dans une sorte d’exercice d’imagerie mentale créa un pont virtuel entre les deux, une sorte d’hallucination hypnotique avec le mot « gouvernement » écrit en un seul morceau. Il venait d’expérimenter spontanément une technique de rééducation orthophonique.
En réalité, dès sa plus tendre enfance le petit Milton a cherché et surtout trouvé lui-même des solutions à chacune de ses difficultés. « Si l’ambiance de son enfance était paisible, le petit Milton n’en était pas moins handicapé, mais ces handicaps n’ont pas pour autant monopolisé la vie de famille. Que Milton soit daltonien, sourd aux rythmes musicaux et dyslexique ne semble pas avoir été traité comme une affaire d’Etat chez les Erickson », selon Dominique Megglé. De nos jours, toute la vie de la famille aurait sans nul doute été centrée sur ces soucis, reconnus comme handicaps, à tort ou à raison, par la société. Madame Erickson aurait consulté le pédiatre ou son médecin généraliste, une prescription de bilan orthophonique aurait été remise à la maman de Milton, et ce dernier aurait ensuite passé toute une batterie de tests normés et étalonnés pour s’entendre annoncer le diagnostic de dyslexie (dysorthographie associée a priori).
Des séances de rééducation (avec moult matériels et diverses techniques rééducatives plus perfectionnées les unes que les autres) auraient été mises en oeuvre par un orthophoniste pour montrer au petit patient Milton comment compenser son trouble de lecture. Ce dernier aurait ainsi bénéficié de réponses adaptées, d’une aide appropriée et n’aurait pas eu à découvrir et inventer par lui-même les nouveaux apprentissages nécessaires à la compensation de ses handicaps. Peut-être en aurait-il retiré encore plus de possibilités adaptatives, les soins orthophoniques se basant sur les ressources du patient pour révéler toutes ses potentialités compensatrices. Mais qui dit que cela n’aurait pas, au final, bridé les capacités géniales et l’inventivité induites par les handicaps qu’il lui aura bien fallu surmonter sans aucune autre aide que la sienne ?
L’ADOLESCENT
En 1919, à l’âge de 17 ans, il fut victime d’une forme grave de poliomyélite qui, après trois jours de coma, le laissa paralysé... Pendant plus d’un an, cloué durant de longues heures dans son lit puis dans un fauteuil à bascule, fort de son expérience antérieure liée à son amusie et sa dyslexie, Milton poursuivit ses expérimentations sensorielles (et hypnotiques) pour développer à l’extrême cette faculté d’observation remarquable qu’il mit au service de son « auto-rééducation ». Ses deux soeurs aînées lui enseignèrent, à leur insu, l’importance du langage non verbal, capable d’exprimer l’inverse du langage verbal. Sa plus jeune soeur, en plein apprentissage de la marche, lui permit de se remémorer ses gestes antérieurs et de les coordonner... Par la seule force de sa volonté, de sa ténacité et d’efforts acharnés, il recouvra pratiquement l’ensemble de ses capacités en moins d’un an. Si j’ose transposer cette situation une fois encore à notre réalité actuelle, Milton aurait bénéficié d’une rééducation intensive en kinésithérapie au sein d’un centre de médecine physique et de réadaptation.
Seul dans sa chambre, il aurait peu bénéficié de la présence inspirante de sa fratrie. En lieu et place, il aurait côtoyé quotidiennement d’autres patients tous plus handicapés les uns que les autres, à différents stades de leur réadaptation, chacun reproduisant les mouvements demandés par son kinésithérapeute respectif... Milton découvrit par lui-même les phénomènes de l’autohypnose thérapeutique : « Je ne pouvais même pas dire où se trouvaient mes bras et mes jambes dans mon lit. C’est ainsi que j’ai passé des heures à essayer de localiser ma main, mon pied, ou mes orteils, en guettant la moindre sensation, et je suis devenu particulièrement attentif à ce que sont les mouvements. » Avec un protocole de soin élaboré par un autre, n’ayant à observer que des patients brisés et handicapés, Milton aurait-il développé les mêmes capacités ? Se serait-il rétabli de façon aussi remarquable ?
L’ÉTUDIANT PUIS LE JEUNE MÉDECIN
De nombreuses et douloureuses séquelles physiques grevant toute possibilité pour lui de devenir agriculteur, le jeune Milton aurait pu sombrer dans la dépression, être gagné par la colère. Il aurait pu laisser le ressentiment le gagner, occuper toutes ses pensées, monopoliser toutes ses pensées... Je l’ai déjà observé chez certains patients. Il semblerait que dans la famille Erickson, le mot échec ou renoncement n’existe pas. Comme son père avait appris de ses échecs de prospecteur en changeant de vie, Milton choisit de transformer son vécu de la maladie en armes de conviction thérapeutique. Il passa de l’autre côté du stéthoscope en toute conscience : « Ensuite, quand j’ai commencé à récupérer et que j’ai pris conscience de mes handicaps, je me suis demandé comment j’allais gagner ma vie. (...) Je n’avais plus les forces requises pour être fermier, mais peut-être en aurais-je assez pour être médecin... »
Etudiant en troisième année de médecine, Milton participa au séminaire sur l’hypnose organisé par Clark Hull dans son université, qui fut le véritable déclencheur de la vocation de celui qui était déjà nommé « Monsieur Hypnose ». Refusant les procédures d’induction standardisées que souhaitait son mentor, Milton décida de mener ses propres recherches sur l’hypnose. Il continua ainsi son propre chemin en développant son empathie naturelle, sa sensibilité accrue à ressentir la souffrance de l’autre, ainsi qu’une faculté de compréhension de l’être humain dans toute sa complexité.
Quelques années plus tard, une conviction inébranlable chevillée à son corps meurtri, son doctorat en médecine ainsi qu’une maîtrise de psychologie en poche, ce médecin obstiné poursuivit sa carrière au sein de services lui interdisant la pratique de son art de prédilection. Qu’à cela ne tienne. Le défi et le contournement de la résistance étant pour ainsi dire dans ses gènes (pour preuve l’histoire du veau) (4), Milton Erickson brava l’interdiction à sa manière, tout en subtilité. Il développa envers et contre tous des techniques de communication d’allure non hypnotique très efficaces et directement inspirées de l’hypnose.
L’HOMME MÛR
Pendant la guerre, sa santé se dégrada, du fait d’allergies croissantes liées au climat humide du Michigan. En 1948, à 47 ans, des accidents allergiques gravissimes le conduisirent en réanimation. Il devait absolument partir vivre dans un climat chaud et sec pour préserver sa santé fragile. Encore une fois la vie lui jouait un sale tour, un de plus : Milton devait tout abandonner au moment où ses travaux commençaient à être célèbres et respectés... Nouveau défi en réalité ! Il s’installa dans un endroit désertique à Phoenix en Arizona, où il ouvrit un cabinet de thérapeute libéral, libéré surtout des contraintes administratives. Il démarra rapidement des consultations peu orthodoxes pour cette période d’omnipotence psychanalytique.
Le thérapeute ne devait en aucun cas se mêler de la vie sociale des patients, ni faire intervenir la sienne, ni se rendre à domicile ; il recevait toujours individuellement le client, et sa tâche était de l’aider à comprendre ce qui, dans son passé, l’avait amené aux difficultés présentes. Point final. Milton Erickson fit exactement ce qu’il voulait, ou plutôt ce qu’il pensait devoir faire dans l’intérêt de chacun de ses patients. Cette perspective thérapeutique, appelée « écosystémique » en orthophonie, l’a ainsi conduit à recevoir le couple en cas de problème conjugal, à se rendre lui-même dans la famille, ou bien à la recevoir dans son ensemble en cas de problème familial. Il fut le premier à comprendre qu’un patient ne pouvait s’expliquer en dehors de son contexte. Selon Dominique Megglé, des patients souffraient, il voulait les soulager ; rien d’autre n’avait d’importance. Plus rien ni personne ne réfrénait sa créativité.
L’HOMME RATTRAPÉ PAR LA MALADIE
En 1953, Milton Erickson subit une seconde crise de la poliomyélite qui provoqua de nouveaux déficits musculaires, aggravant encore son handicap. Il perdit l’usage des deux jambes et d’un bras. Progressivement sa voix, son instrument de travail aiguisé comme un scalpel, devint quasi inaudible, à tel point que les derniers films tournés avec lui sont sous-titrés. A notre époque Milton aurait été déclaré inapte, mis en invalidité et serait une nouvelle fois retourné en service de médecine physique et de réadaptation.
A moins qu’il n’ait préféré le libéral, la semaine s’égrainant au rythme des séances de kinésithérapie pour maintenir son autonomie physique. Milton aurait passé beaucoup de temps dans les ambulances pour bénéficier en outre de séances d’orthophonie visant à lui permettre de limiter les conséquences de sa dysarthrie et de son hypophonie.
Ces soins chronophages et énergivores lui auraient-ils laissé l’opportunité de poursuivre son travail en simplifiant davantage ses techniques afin de produire le maximum d’effet avec l’intervention la plus minime ? Les soins orthophoniques auraient-ils amélioré la communication non verbale de cet homme cloué dans sa chaise roulante ? Est-il possible de faire émerger chez un patient hypophonique, qui ne l’a jamais expérimenté auparavant, toute une diversité d’expressions du regard ou de la mimique, passant successivement de l’espièglerie à la vivacité, la fermeté, la douleur, puis la détente ou autres multiples indications hypnotiques ? J’en doute. FIN DE (SA) VIE Les dix dernières années de sa vie, Milton Erickson était perclus de douleurs. Tout effort prolongé lui était physiquement insupportable, malgré l’autohypnose.
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NOTES
1. Le daltonisme (ou dyschromatopsie) est une anomalie de la vision affectant la perception des couleurs d’origine généralement génétique.
2. L’amusie est une anomalie neurologique dans laquelle le rythme, la mélodie et les accords de musique ne sont pas perçus ou n’ont pas de sens pour une personne d’audition par ailleurs normale. L’amusie peut être congénitale ou résulter d’une lésion cérébrale.
3. La dyslexie est un trouble du neurodéveloppement impactant la lecture, qui est reconnue comme un « trouble spécifique de l’apprentissage » ou TSA, et objet de soins orthophoniques pour permettre à l’enfant ou l’adolescent de dépasser ou compenser ce trouble. La dyslexie s’accompagne parfois de dysorthographie, qui concerne l’orthographe.
4. « Un jour, son père tente de faire rentrer un veau dans l’étable en le tirant par le licol. Plus il le tire vers l’étable, plus l’animal fait pile. Milton observe la scène et la trouve très drôle : son père suant et criant, la bête placide et immobile. Le rire sans retenue de Milton exaspère papa qui, furieux, finit par lui dire : “Eh bien, vas-y puisque tu es si fort, fais le rentrer dans l’étable !” Mis au défi, l’enfant réfléchit un bref instant, puis alors que son père continue à tirer le veau vers l’étable, prend la queue de celui-ci et se met à tirer de toutes ses forces dessus, en sens contraire, comme pour l’éloigner de l’étable. L’animal y rentre aussitôt bien sagement. Leçon de l’histoire, qu’Erickson racontera souvent : quand on doit résister à deux forces, on choisit toujours de résister à la plus faible ; la prétendue “résistance” au changement est une force à utiliser, non à combattre, et la meilleure alliée au service de ce changement » (Dominique Megglé, p. 21).
BIBLIOGRAPHIE
- Erickson M.H., Rossi E.L., Rossi S.I., « Traité pratique de l’hypnose, la suggestion indirecte en hypnose clinique », Grancher, Esclaquens, février 2006.
- Erickson M.H., « L’hypnose thérapeutique, quatre conférences », ESF Editeur, Clamecy, février 2018.
- Halay J., « Un thérapeute hors du commun, Milton H. Erickson », Desclée de Brouwer, Langres, octobre 2013.
- Megglé D., « Erickson, hypnose et psychothérapie », Retz, Paris, 2005, 3e édition.
Blandine Rossi-Bouchet dit Layuyouse Orthophoniste, autrice (ouvrage Douleur en pratique orthophonique),
enseignante au CFUO (Centre de formation universitaire en orthophonie) de Bordeaux, ainsi qu’au DIU Hypnose de Bordeaux où elle a été formée.
Elle est responsable Formation et éthique de l’association Hypnose33-Ecole bordelaise ericksonienne et a animé une Masterclass lors du 13e Forum de la CFHTB qui a eu lieu du 15 au 18 mai 2024 à Bordeaux, ainsi que 2 communications orales:
* Autohypnose: Question de Pratique & Pratique en Question.
* Hypnose en pratique orthophonique (HypnoPhonie®).
Elle est Membre de France EMDR - IMO.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Catégories: Hypnose Ericksonienne Thérapie Brève
Catherine GAYET
Psychanalyste, Praticienne EMDR - IMO.
Praticienne certifiée en hypnose
Certifiée EMDR - IMO par France EMDR-IMO ®
Gestion du stress post traumatique
DU universitaire
Mouvement somatique
Praticienne en mouvement thérapeutique et danse thérapie
Psychothérapies
- Le rêve
- Mouvement somatique
Consultations 45 rue de sèvres
75006 Paris
Téléphone : 0608893997
Formations Formation au CHTIP Collège Hypnose & Thérapies Intégratives de Paris, et à l'Institut IN-DOLORE.
Formation en EMDR IMO à France EMDR IMO avec Laurent GROSS & Laurence ADJADJ
Inscrite au Registre des Praticiens EMDR - IMO de France sous le numéro 241405012
Praticienne certifiée en hypnose
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Hypnose et troubles neurocognitifs.
ACCOMPAGNER LES PATIENTS ET LEURS AIDANTS. Dans les cas de prise en charge de personnes souffrant de troubles neurocognitifs, l’hypnose a un rôle important à jouer pas seulement pour les patients, mais aussi pour les proches aidants, en leur apportant un soutien et une forme de résilience face au risque d’épuisement.
ETAT DES LIEUX
L’augmentation du nombre de personnes présentant des troubles neurocognitifs (TNC) exerce une pression considérable sur les systèmes de soins et les aidants. Ces pathologies, incluant Alzheimer et autres, affectent plus de 55 millions de personnes, chiffre pouvant atteindre 152 millions d’ici 2050 (OMS, 2023). Les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) touchent environ 97 % des personnes âgées atteintes vivant à domicile (Cloak N., Al-Khalili Y., 2019). Les SCPD, avec des manifestations variées, sont éprouvants pour les patients et leurs aidants car ce sont en effet des maladies à « double tropisme neurologique, tout d’abord en détruisant le cerveau des patients et aussi en rongeant celui des aidants » (Sirvain S., 2019). L’Inventaire neuropsychiatrique (NPI) identifie douze catégories de symptômes dont les manifestations comportementales sont variables en fonction de l’évolution de la maladie : en début de pathologie apparaissent la dépression et l’anxiété, puis l’apathie, et enfin l’irritabilité, l’agitation, les idées délirantes, les hallucinations, les comportements moteurs aberrants (Noblet-Dick M. et al., 2004)...
Ces symptômes, loin d’être anodins, peuvent accélérer la progression de la maladie (Zahodne L. et al., 2015), augmenter le risque d’institutionnalisation (Toot et al., 2017) et exacerber la détresse des aidants (Feast et al., 2016). Le lit de ces SCPD est bien souvent l’anxiété : être perdu dans des temps et des lieux, rechercher des gens disparus depuis longtemps, ne pas partager la réalité des autres, etc. L’abord de ces personnes malades se doit de se faire dans cette vision globale chère à la gériatrie avec des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Les traitements palliatifs médicamenteux des SCPD sont souvent délétères à moyen ou long terme avec un cortège iatrogénique occasionnant chez ces patients fragiles, des chutes, de la confusion, des troubles digestifs, etc. Dans ce contexte, le rôle des aidants revêt une importance capitale. Un proche aidant est défini comme une personne apportant une aide non professionnelle régulière (art. L. 113-1-3 du Code de l’action sociale et des familles). La situation d’aidance peut affecter les sphères personnelle, familiale, sociale et professionnelle. A cela s’ajoute la dimension affective du lien avec la personne aidée, qui peut entraîner chez l’aidant un surinvestissement, un sentiment de culpabilité et un épuisement croissant, la HAS soulignant que cela entraîne des répercussions sur la santé des aidants, avec plus de la moitié des conjoints développant une dépression et un risque de surmortalité de plus de 60 % dans les trois ans suivant le début de la maladie de leur proche (HAS, 2024 et 2010). Feast et al. (2016) démontrent que certains symptômes, comme la dépression, l’agitation et l’agressivité, sont particulièrement éprouvants pour les aidants.
L’apathie, bien que moins perçue comme dérangeante, mérite une attention particulière en raison de sa prévalence et de son intensité élevées (Fauth et Gibbons, 2014 ; Zhao et al., 2016). Cette dichotomie entre la perception des symptômes et leur impact réel souligne l’importance d’une formation des aidants sur la nature et les conséquences des manifestations spécifiques de la personne âgée. Il apparaît donc essentiel de développer des stratégies de soutien ciblées pour les aidants. Celles-ci doivent prendre en compte la variabilité des symptômes, leur impact différentiel sur les aidants, et s’appuyer sur une compréhension approfondie des mécanismes sous-jacents à leur apparition. Une telle approche, centrée sur les besoins spécifiques des aidants et des patients, permettrait non seulement d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de TNC, mais aussi de prévenir l’épuisement des proches aidants, piliers essentiels du système de soins à domicile.
Les recherches de Duff et Nightingale (2006, 2007), les premières chez des patients ayant un trouble neurocognitif majeur (TNCM), montrent que les personnes âgées ayant bénéficié de séances d’hypnose sur une année ont amélioré leurs performances en concentration, activités quotidiennes, mémoire immédiate et mémoire des événements significatifs, par rapport aux groupes témoins. Ces auteurs pensent que les personnes atteintes de troubles cognitifs peuvent être conscientes de la perte de leurs capacités, augmentant ainsi l’anxiété et la dépression, ce qui entraîne une perte de mémoire et de motivation. L’hypnose pourrait réduire l’anxiété et la dépression, libérant ainsi les ressources cognitives. Les méthodes pour adapter l’hypnose dans le grand âge se développent et les études commencent à fournir des résultats (Lutgendorf, 2007 ; Billot et al., 2020 ; Dumain et al., 2022 ; Floccia et al., 2024 ; Perennou, 2017 ; Perennou et Sirvain et al., 2024). Dans sa revue portant sur sept études dans la littérature, Emilie Wawrziczny et al. (2021) nous apportent des éléments précieux. Ces études se sont intéressées à l’utilisation de l’hypnose chez des patients diagnostiqués avec la maladie de Huntington, la maladie de Parkinson, la démence vasculaire ou la maladie d’Alzheimer.
Elles retrouvaient une hypnotisabilité modérée à élevée des patients et une certaine suggestibilité. L’hypnose permettait une amélioration des symptômes physiques (sommeil, chutes, spasmes...) et psychologiques (anxiété, concentration, estime de soi). Au-delà des résultats, cette étude mettait en évidence certaines adaptations nécessaires de l’hypnose. Pour les patients présentant un TNCM à un stade débutant, la phase d’induction est plus directive, avec peu de pauses. Les souvenirs utilisés s’appuient sur la mémoire à long terme qui est mieux préservée avec des suggestions s’appuyant sur le VAKOG. Enfin, les séances sont souvent fractionnées, plus courtes en raison de la fatigue attentionnelle (moins de 30 minutes) et doivent être régulières pour renforcer l’utilisation. Dans les stades plus évolués, la suggestibilité persiste, mais le mode devient conversationnel nécessitant une utilisation accrue du paraverbal et de la synchronisation, en utilisant l’environnement (Wawrziczny et al., 2021).
L’HYPNOSE PEUT-ELLE AIDER À SOUTENIR LES PROCHES AIDANTS ?
L’hypnose se développe dans les milieux de soins, mais peut-elle aider les proches aidants ? Les données sur l’hypnose pour les aidants familiaux sont rares. Pourtant, l’hypnose peut aider les aidants à redécouvrir leurs ressources. Sophie Lagouarde (2020) affirme que l’hypnose soulage les symptômes comme les troubles du sommeil et aide à traiter le syndrome d’épuisement des aidants. Elle améliore aussi la communication avec le proche malade. « L’hypnose est un outil précieux dans l’accompagnement des aidants familiaux. Non seulement elle permet de soulager les symptômes les plus saillants comme les troubles du sommeil, mais elle s’avère aussi être le socle du travail psychothérapique mené autour du syndrome d’épuisement, bien caractéristique de la souffrance des aidants familiaux. Par ailleurs, transmettre aux aidants familiaux quelques notions autour de la pratique du langage hypnotique afin qu’ils l’utilisent auprès de leur proche malade améliore la communication et apaise la relation » (Floccia M., 2024).
CAS CLINIQUE
Madame Jeanne, 84 ans, vit à domicile, veuve depuis vingt ans, MMS 19. Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer et a vu sa pathologie progresser après deux événements marquants : le décès de sa soeur Angèle et la pandémie de Covid-19 qui a accentué l’impression de ne plus être en sécurité. Des aides sont en place (infirmière pour les traitements et la toilette, auxiliaires de vie) et permettent de l’entourer dans son environnement où elle se reconnaît comme étant chez elle. Mais, parfois absente, elle exprime de l’inquiétude et pose des questions décalées. Ses fils, André et Christophe, réagissent différemment à ses répétitions et oublis. André est impatient, tandis que Christophe répond patiemment.
- Madame Jeanne : « Où est Angèle ? Je l’ai vue tout à l’heure, mais je ne la vois plus.
- André : Mais tu sais bien qu’elle est décédée il y a trois ans maintenant, tu ne peux pas l’avoir vue tout à l’heure, voyons, rappelle-toi ! Madame Jeanne fond en larmes. Tandis que l’autre fils, Christophe, a compris l’importance d’accepter la situation et de répondre patiemment aux mêmes questions posées à quelques minutes d’intervalle tout en essayant de l’apaiser.
- Madame Jeanne : Sais-tu où est Angèle ? Je ne la trouve plus ?
- Christophe : Maman, Tatie Angèle nous a quittés pour toujours.
- Madame Jeanne : Ah bon, mais où cela ? Elle ne doit pas être bien loin ?
- Christophe : Je crois que c’est définitif maman. Madame Jeanne pleure doucement : Elle nous a abandonnés ? Ah oui, je deviens folle, elle est morte Angèle, je suis si vieille, je perds la tête. » Si Madame Jeanne revit à chaque fois le décès de sa soeur, la façon dont son fils Christophe lui annonce cette nouvelle est différente. Mais bien qu’il fasse preuve de douceur et de patience, il éprouve des difficultés et manque d’outils pour apaiser efficacement l’anxiété et la douleur de sa mère face à la perte de sa soeur. Suite à une évaluation gériatrique, Madame Jeanne est orientée vers une hypnothérapeute pour l’aider, ainsi que ses aidants, à mieux gérer ses phases d’anxiété. La rencontre révèle que Madame Jeanne était institutrice et très investie dans son foyer et sa famille. En discutant de cela, Madame Jeanne qui était agitée en arrivant, se détend progressivement.
- Hypnothérapeute : « J’ai entendu parler de votre maison, on m’a dit qu’elle est bien tenue.
- Madame Jeanne : Oui, j’aime que tout soit propre.
- Hyp. : Comme cela, vos garçons se sentent bien.
- Madame Jeanne : Oui, ils y jouent, mais ils me font du dégât ! Que dire, ils sont si pleins de vie ! Mais la dernière fois, il y en a un qui m’a cassé un beau vase… L’hypnothérapeute, par des questions ciblées, cherche à déterminer dans quelle période de vie se trouve Madame Jeanne à ce moment précis.
- Hyp. : Un vase, vous en avez d’autres ?
- Madame Jeanne : Oh oui, j’aime avoir de belles fleurs dans ma maison.
- Hyp. : Oh, moi aussi, des fleurs qui embaument, de toutes les couleurs.
- Madame Jeanne : Plutôt des pivoines...
- Hyp. : Vous avez des pivoines ? Ce sont de belles fleurs, leur parfum embaume comme un doux nuage de pétales qui diffuse...
- Madame Jeanne (en prenant une grande inspiration) : Rose pâle...
- Hyp. : (en se synchronisant avec cette grande inspiration et en lançant l’enregistrement – Madame Jeanne a été prévenue avant la séance que possiblement l’hypnothérapeute l’enregistrerait pour la lui remettre) : Rose pâle, les pétales sont doux et duveteux, leur odeur passe de pièce en pièce et crée dans la maison de la douceur et du calme... » Madame Jeanne ne parle plus, son regard est fixe. Plus fréquemment dans le grand âge, que le patient présente des troubles neurocognitifs ou pas, il garde les yeux ouverts ou miclos. Néanmoins le regard devient fixe et le réflexe de clignement diminue. Milton H. Erickson nous disait que l’altération du clignement du regard était un signe de transe (Erickson M.H., 1976).
- Hyp. : « ... Et cette douce odeur qui diffuse apporte du calme, de la sérénité, et c’est comme si un voile de légèreté et de parfum se posait dans cette maison où vous vous sentez bien, calme, protégée, rassurée. » L’identification d’un lieu sécurisant, appelé « safe place », est importante pour cette population qui perd ses repères. Cela permet de travailler sur leur sentiment d’insécurité, tout en leur offrant un endroit ressourçant à renforcer. Pour Madame Jeanne, sa maison va devenir cette safe place que l’hypnothérapeute va pouvoir développer et utiliser pendant les séances.
- Hyp. : « Vous prenez le temps de disposer ces magnifiques pivoines, qui embaument votre nez. Vos mains expertes les placent avec soin dans les vases. Le bouquet est si beau, il apporte de la gaieté et de la douceur dans toute la maison. Vous vous sentez particulièrement bien dans ce lieu familier qui vous protège. Vous entendez même les rires et les voix de vos fils, qui apprécient eux aussi ces doux parfums floraux. C’est une délicieuse sensation de tranquillité et d’accueil dans cette maison chaleureuse où vous vous sentez bien... Madame Jeanne a les yeux fixes, des larmes perlent.
- Hyp. : ... et vous savez leur apporter l’eau qui leur est nécessaire pour qu’elles sentent bien, cette eau qui coule et qui apporte le calme. » Madame Jeanne semble commencer à fatiguer, elle a de légers mouvements.
Les séances d’hypnose dans le grand âge sont souvent plus courtes, les patients fatiguant. Cela est d’autant plus vrai que le patient présente un TNCM.
- Hyp. : Dans les jours et les semaines à venir, vous allez être surprise de constater combien il vous sera facile de retrouver ces sensations agréables, ce calme, cette protection. Simplement en voyant une pivoine, en pensant et en sentant son odeur, dans votre agréable maison, vous retrouverez de manière simple ces sensations de calme. » Madame Jeanne sourit. Ensemble, elles choisissent sur Internet une image de…
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Dr Marie Floccia
Médecin gériatre et algologue, praticien hospitalier et cheffe de service Douleur et médecine intégrative au CHU de Bordeaux. Elle a exercé dans divers services de gériatrie et elle fait désormais des consultations pour des patients douloureux chroniques ou présentant des troubles du comportement dans le cadre d’une pathologie neurocognitive. Elle enseigne l’hypnose en gériatrie au DIU d'Hypnose Médicale de Bordeaux et est l’auteure de deux ouvrages sur la question : Hypnose en pratiques gériatriques, Dunod (2018) ; Cas pratiques en Hypnose gériatrique, Dunod (2024).
Geneviève Perennou
Hypnothérapeute et formatrice en hypnose dans les hôpitaux et les Ehpad, spécialisée dans l’accompagnement des personnes ayant une pathologie neurodégénérative. Auteure de plusieurs ouvrages : L’hypnose pour accompagner les patients âgés, Satas (2016) ; Métaphores hypnotiques pour accompagner les patients, Satas (2019) ; Hypnose médicale de la personne âgée pour les professionnels de santé, coécrit avec Serge Sirvain, Dunod (2024).
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
L’augmentation du nombre de personnes présentant des troubles neurocognitifs (TNC) exerce une pression considérable sur les systèmes de soins et les aidants. Ces pathologies, incluant Alzheimer et autres, affectent plus de 55 millions de personnes, chiffre pouvant atteindre 152 millions d’ici 2050 (OMS, 2023). Les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) touchent environ 97 % des personnes âgées atteintes vivant à domicile (Cloak N., Al-Khalili Y., 2019). Les SCPD, avec des manifestations variées, sont éprouvants pour les patients et leurs aidants car ce sont en effet des maladies à « double tropisme neurologique, tout d’abord en détruisant le cerveau des patients et aussi en rongeant celui des aidants » (Sirvain S., 2019). L’Inventaire neuropsychiatrique (NPI) identifie douze catégories de symptômes dont les manifestations comportementales sont variables en fonction de l’évolution de la maladie : en début de pathologie apparaissent la dépression et l’anxiété, puis l’apathie, et enfin l’irritabilité, l’agitation, les idées délirantes, les hallucinations, les comportements moteurs aberrants (Noblet-Dick M. et al., 2004)...
Ces symptômes, loin d’être anodins, peuvent accélérer la progression de la maladie (Zahodne L. et al., 2015), augmenter le risque d’institutionnalisation (Toot et al., 2017) et exacerber la détresse des aidants (Feast et al., 2016). Le lit de ces SCPD est bien souvent l’anxiété : être perdu dans des temps et des lieux, rechercher des gens disparus depuis longtemps, ne pas partager la réalité des autres, etc. L’abord de ces personnes malades se doit de se faire dans cette vision globale chère à la gériatrie avec des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Les traitements palliatifs médicamenteux des SCPD sont souvent délétères à moyen ou long terme avec un cortège iatrogénique occasionnant chez ces patients fragiles, des chutes, de la confusion, des troubles digestifs, etc. Dans ce contexte, le rôle des aidants revêt une importance capitale. Un proche aidant est défini comme une personne apportant une aide non professionnelle régulière (art. L. 113-1-3 du Code de l’action sociale et des familles). La situation d’aidance peut affecter les sphères personnelle, familiale, sociale et professionnelle. A cela s’ajoute la dimension affective du lien avec la personne aidée, qui peut entraîner chez l’aidant un surinvestissement, un sentiment de culpabilité et un épuisement croissant, la HAS soulignant que cela entraîne des répercussions sur la santé des aidants, avec plus de la moitié des conjoints développant une dépression et un risque de surmortalité de plus de 60 % dans les trois ans suivant le début de la maladie de leur proche (HAS, 2024 et 2010). Feast et al. (2016) démontrent que certains symptômes, comme la dépression, l’agitation et l’agressivité, sont particulièrement éprouvants pour les aidants.
L’apathie, bien que moins perçue comme dérangeante, mérite une attention particulière en raison de sa prévalence et de son intensité élevées (Fauth et Gibbons, 2014 ; Zhao et al., 2016). Cette dichotomie entre la perception des symptômes et leur impact réel souligne l’importance d’une formation des aidants sur la nature et les conséquences des manifestations spécifiques de la personne âgée. Il apparaît donc essentiel de développer des stratégies de soutien ciblées pour les aidants. Celles-ci doivent prendre en compte la variabilité des symptômes, leur impact différentiel sur les aidants, et s’appuyer sur une compréhension approfondie des mécanismes sous-jacents à leur apparition. Une telle approche, centrée sur les besoins spécifiques des aidants et des patients, permettrait non seulement d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de TNC, mais aussi de prévenir l’épuisement des proches aidants, piliers essentiels du système de soins à domicile.
Les recherches de Duff et Nightingale (2006, 2007), les premières chez des patients ayant un trouble neurocognitif majeur (TNCM), montrent que les personnes âgées ayant bénéficié de séances d’hypnose sur une année ont amélioré leurs performances en concentration, activités quotidiennes, mémoire immédiate et mémoire des événements significatifs, par rapport aux groupes témoins. Ces auteurs pensent que les personnes atteintes de troubles cognitifs peuvent être conscientes de la perte de leurs capacités, augmentant ainsi l’anxiété et la dépression, ce qui entraîne une perte de mémoire et de motivation. L’hypnose pourrait réduire l’anxiété et la dépression, libérant ainsi les ressources cognitives. Les méthodes pour adapter l’hypnose dans le grand âge se développent et les études commencent à fournir des résultats (Lutgendorf, 2007 ; Billot et al., 2020 ; Dumain et al., 2022 ; Floccia et al., 2024 ; Perennou, 2017 ; Perennou et Sirvain et al., 2024). Dans sa revue portant sur sept études dans la littérature, Emilie Wawrziczny et al. (2021) nous apportent des éléments précieux. Ces études se sont intéressées à l’utilisation de l’hypnose chez des patients diagnostiqués avec la maladie de Huntington, la maladie de Parkinson, la démence vasculaire ou la maladie d’Alzheimer.
Elles retrouvaient une hypnotisabilité modérée à élevée des patients et une certaine suggestibilité. L’hypnose permettait une amélioration des symptômes physiques (sommeil, chutes, spasmes...) et psychologiques (anxiété, concentration, estime de soi). Au-delà des résultats, cette étude mettait en évidence certaines adaptations nécessaires de l’hypnose. Pour les patients présentant un TNCM à un stade débutant, la phase d’induction est plus directive, avec peu de pauses. Les souvenirs utilisés s’appuient sur la mémoire à long terme qui est mieux préservée avec des suggestions s’appuyant sur le VAKOG. Enfin, les séances sont souvent fractionnées, plus courtes en raison de la fatigue attentionnelle (moins de 30 minutes) et doivent être régulières pour renforcer l’utilisation. Dans les stades plus évolués, la suggestibilité persiste, mais le mode devient conversationnel nécessitant une utilisation accrue du paraverbal et de la synchronisation, en utilisant l’environnement (Wawrziczny et al., 2021).
L’HYPNOSE PEUT-ELLE AIDER À SOUTENIR LES PROCHES AIDANTS ?
L’hypnose se développe dans les milieux de soins, mais peut-elle aider les proches aidants ? Les données sur l’hypnose pour les aidants familiaux sont rares. Pourtant, l’hypnose peut aider les aidants à redécouvrir leurs ressources. Sophie Lagouarde (2020) affirme que l’hypnose soulage les symptômes comme les troubles du sommeil et aide à traiter le syndrome d’épuisement des aidants. Elle améliore aussi la communication avec le proche malade. « L’hypnose est un outil précieux dans l’accompagnement des aidants familiaux. Non seulement elle permet de soulager les symptômes les plus saillants comme les troubles du sommeil, mais elle s’avère aussi être le socle du travail psychothérapique mené autour du syndrome d’épuisement, bien caractéristique de la souffrance des aidants familiaux. Par ailleurs, transmettre aux aidants familiaux quelques notions autour de la pratique du langage hypnotique afin qu’ils l’utilisent auprès de leur proche malade améliore la communication et apaise la relation » (Floccia M., 2024).
CAS CLINIQUE
Madame Jeanne, 84 ans, vit à domicile, veuve depuis vingt ans, MMS 19. Elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer et a vu sa pathologie progresser après deux événements marquants : le décès de sa soeur Angèle et la pandémie de Covid-19 qui a accentué l’impression de ne plus être en sécurité. Des aides sont en place (infirmière pour les traitements et la toilette, auxiliaires de vie) et permettent de l’entourer dans son environnement où elle se reconnaît comme étant chez elle. Mais, parfois absente, elle exprime de l’inquiétude et pose des questions décalées. Ses fils, André et Christophe, réagissent différemment à ses répétitions et oublis. André est impatient, tandis que Christophe répond patiemment.
- Madame Jeanne : « Où est Angèle ? Je l’ai vue tout à l’heure, mais je ne la vois plus.
- André : Mais tu sais bien qu’elle est décédée il y a trois ans maintenant, tu ne peux pas l’avoir vue tout à l’heure, voyons, rappelle-toi ! Madame Jeanne fond en larmes. Tandis que l’autre fils, Christophe, a compris l’importance d’accepter la situation et de répondre patiemment aux mêmes questions posées à quelques minutes d’intervalle tout en essayant de l’apaiser.
- Madame Jeanne : Sais-tu où est Angèle ? Je ne la trouve plus ?
- Christophe : Maman, Tatie Angèle nous a quittés pour toujours.
- Madame Jeanne : Ah bon, mais où cela ? Elle ne doit pas être bien loin ?
- Christophe : Je crois que c’est définitif maman. Madame Jeanne pleure doucement : Elle nous a abandonnés ? Ah oui, je deviens folle, elle est morte Angèle, je suis si vieille, je perds la tête. » Si Madame Jeanne revit à chaque fois le décès de sa soeur, la façon dont son fils Christophe lui annonce cette nouvelle est différente. Mais bien qu’il fasse preuve de douceur et de patience, il éprouve des difficultés et manque d’outils pour apaiser efficacement l’anxiété et la douleur de sa mère face à la perte de sa soeur. Suite à une évaluation gériatrique, Madame Jeanne est orientée vers une hypnothérapeute pour l’aider, ainsi que ses aidants, à mieux gérer ses phases d’anxiété. La rencontre révèle que Madame Jeanne était institutrice et très investie dans son foyer et sa famille. En discutant de cela, Madame Jeanne qui était agitée en arrivant, se détend progressivement.
- Hypnothérapeute : « J’ai entendu parler de votre maison, on m’a dit qu’elle est bien tenue.
- Madame Jeanne : Oui, j’aime que tout soit propre.
- Hyp. : Comme cela, vos garçons se sentent bien.
- Madame Jeanne : Oui, ils y jouent, mais ils me font du dégât ! Que dire, ils sont si pleins de vie ! Mais la dernière fois, il y en a un qui m’a cassé un beau vase… L’hypnothérapeute, par des questions ciblées, cherche à déterminer dans quelle période de vie se trouve Madame Jeanne à ce moment précis.
- Hyp. : Un vase, vous en avez d’autres ?
- Madame Jeanne : Oh oui, j’aime avoir de belles fleurs dans ma maison.
- Hyp. : Oh, moi aussi, des fleurs qui embaument, de toutes les couleurs.
- Madame Jeanne : Plutôt des pivoines...
- Hyp. : Vous avez des pivoines ? Ce sont de belles fleurs, leur parfum embaume comme un doux nuage de pétales qui diffuse...
- Madame Jeanne (en prenant une grande inspiration) : Rose pâle...
- Hyp. : (en se synchronisant avec cette grande inspiration et en lançant l’enregistrement – Madame Jeanne a été prévenue avant la séance que possiblement l’hypnothérapeute l’enregistrerait pour la lui remettre) : Rose pâle, les pétales sont doux et duveteux, leur odeur passe de pièce en pièce et crée dans la maison de la douceur et du calme... » Madame Jeanne ne parle plus, son regard est fixe. Plus fréquemment dans le grand âge, que le patient présente des troubles neurocognitifs ou pas, il garde les yeux ouverts ou miclos. Néanmoins le regard devient fixe et le réflexe de clignement diminue. Milton H. Erickson nous disait que l’altération du clignement du regard était un signe de transe (Erickson M.H., 1976).
- Hyp. : « ... Et cette douce odeur qui diffuse apporte du calme, de la sérénité, et c’est comme si un voile de légèreté et de parfum se posait dans cette maison où vous vous sentez bien, calme, protégée, rassurée. » L’identification d’un lieu sécurisant, appelé « safe place », est importante pour cette population qui perd ses repères. Cela permet de travailler sur leur sentiment d’insécurité, tout en leur offrant un endroit ressourçant à renforcer. Pour Madame Jeanne, sa maison va devenir cette safe place que l’hypnothérapeute va pouvoir développer et utiliser pendant les séances.
- Hyp. : « Vous prenez le temps de disposer ces magnifiques pivoines, qui embaument votre nez. Vos mains expertes les placent avec soin dans les vases. Le bouquet est si beau, il apporte de la gaieté et de la douceur dans toute la maison. Vous vous sentez particulièrement bien dans ce lieu familier qui vous protège. Vous entendez même les rires et les voix de vos fils, qui apprécient eux aussi ces doux parfums floraux. C’est une délicieuse sensation de tranquillité et d’accueil dans cette maison chaleureuse où vous vous sentez bien... Madame Jeanne a les yeux fixes, des larmes perlent.
- Hyp. : ... et vous savez leur apporter l’eau qui leur est nécessaire pour qu’elles sentent bien, cette eau qui coule et qui apporte le calme. » Madame Jeanne semble commencer à fatiguer, elle a de légers mouvements.
Les séances d’hypnose dans le grand âge sont souvent plus courtes, les patients fatiguant. Cela est d’autant plus vrai que le patient présente un TNCM.
- Hyp. : Dans les jours et les semaines à venir, vous allez être surprise de constater combien il vous sera facile de retrouver ces sensations agréables, ce calme, cette protection. Simplement en voyant une pivoine, en pensant et en sentant son odeur, dans votre agréable maison, vous retrouverez de manière simple ces sensations de calme. » Madame Jeanne sourit. Ensemble, elles choisissent sur Internet une image de…
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Dr Marie Floccia
Médecin gériatre et algologue, praticien hospitalier et cheffe de service Douleur et médecine intégrative au CHU de Bordeaux. Elle a exercé dans divers services de gériatrie et elle fait désormais des consultations pour des patients douloureux chroniques ou présentant des troubles du comportement dans le cadre d’une pathologie neurocognitive. Elle enseigne l’hypnose en gériatrie au DIU d'Hypnose Médicale de Bordeaux et est l’auteure de deux ouvrages sur la question : Hypnose en pratiques gériatriques, Dunod (2018) ; Cas pratiques en Hypnose gériatrique, Dunod (2024).
Geneviève Perennou
Hypnothérapeute et formatrice en hypnose dans les hôpitaux et les Ehpad, spécialisée dans l’accompagnement des personnes ayant une pathologie neurodégénérative. Auteure de plusieurs ouvrages : L’hypnose pour accompagner les patients âgés, Satas (2016) ; Métaphores hypnotiques pour accompagner les patients, Satas (2019) ; Hypnose médicale de la personne âgée pour les professionnels de santé, coécrit avec Serge Sirvain, Dunod (2024).
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Catégories: Hypnose Paris,EMDR,Thérapie Brève Paris
Hypnose et rééducation de la main.
Quels bénéfices en post-opératoire ? Quand l’hypnose vient en appui de la kinésithérapie dans le cas d’une rééducation de la main après chirurgie. Exemple avec une séance qui allie travail sur la respiration, sur les sensations, suggestion d’un gant anesthésiant, gestion de la douleur...
En tant que kinésithérapeute spécialisée dans la rééducation de la main, je me retrouve confrontée en post-opératoire à des biais rééducatifs cognitifs, comportementaux et/ ou psychologiques, qui viennent entraver la récupération des patients : la kinésiophobie, le catastrophisme, l’anxiété/dépression et la gestion de la douleur. Dès lors, mon raisonnement s’est posé ainsi: l’hypnose présente- t-elle un intérêt comme prise en charge complémentaire pour les patients suivis en kinésithérapie ?
Dans le cadre de l’utilisation conjointe de la kinésithérapie et de l’hypnose, nous pouvons citer notre confrère Théo Chaumeil, qui a effectué en 2018 une revue de la littérature des études pour lesquelles, je cite : « L’hypnose a montré un intérêt antalgique dans la prise en charge de la douleur aussi bien aiguë que chronique. Plusieurs études ayant montré des résultats intéressants ont été réalisées dans le cadre de pathologies prises en charge par les masseurs-kinésithérapeutes comme la lombalgie chronique, les céphalées, les douleurs arthrosiques, temporo-mandibulaires, la sclérose en plaques ou encore la fibromyalgie. » Mais qu’en est-il des effets de l’hypnose dans le domaine spécifique de la rééducation de la main en post-opératoire ?
De décembre 2023 à avril 2024, j’ai réalisé des séances d’hypnose formelle au cabinet en plus de la prise en charge rééducative et des conseils d’autohypnose. Ces patients ont rempli des échelles et questionnaires validés scientifiquement, avant et après les séances d’hypnose, selon une démarche d’« evidence based practice ».
SÉANCE D’HYPNOSE FORMELLE
Voici un exemple de séance d’hypnose formelle réalisée en post-opératoire d’une chirurgie prothétique du pouce auprès d’une patiente suivie au cabinet de kinésithérapie lors de sa rééducation...
- Thérapeute : « Je vous propose de vous caler sur la respiration... Tranquillement, on va inspirer... OK, super... et souffler... Vous allez sûrement sentir le ventre qui se gonfle... et se dégonfle... au rythme de votre respiration... tranquillement... Vous pouvez si vous le souhaitez (j’adapte mes suggestions à ce que j’observe chez ma patiente) fixer un point au plafond... Ou fermer les yeux... Vous faites à votre rythme...
Et comme vous êtes bien... Le plus important étant d’être bien... de prendre du temps pour soi... pour retrouver du calme... de la détente... et surtout d’améliorer le confort de cette main... Cette main sur laquelle on va travailler tout à l’heure... Et sur laquelle, aussi, si vous souhaitez, vous pouvez focaliser votre attention... Ressentir toutes les sensations qu’il y a ressentir pour le moment... La température... les sensations à l’intérieur de la main... Est-ce que c’est fluide, ça bouge bien ?... Est-ce qu’au contraire vous sentez comme si c’était serré comme si c’était un étau ?... Si elle est chaude ?... Si elle est froide ?... Vous focalisez sur ce que vous sentez, là... actuellement... Et au rythme de votre respiration... et des sensations de la main... tranquillement... Vous pouvez continuer à fixer votre point... Très bien...
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous allons travailler sur la sensation... La sensation modifiée au niveau de la main... Et comme si on allait enfiler un gant... un gant anesthésiant... On va essayer de travailler sur la modification de cette sensibilité... Et vous allez déjà pouvoir imaginer ce gant... De quelle texture il est... de quelle couleur il est... On va l’enfiler tranquillement, en commençant par le pouce (j’accompagne la description par une pression glissée sur la face dorsale de chaque doigt cité)... Voilà... Et petit à petit, les sensations vont se modifier dans toute la main... Parce que c’est un gant qu’on enfile doigt par doigt... tranquillement... Sur l’index... sur le majeur... sur l’annulaire... et sur le petit doigt... et à l’intérieur de la main... progressivement... Doucement, les sensations changent... Et ça peut être tout léger... subtil... Ou au contraire, vous pouvez le sentir davantage... Il peut y avoir un peu de fraîcheur de la crème...
Et c’est comme si c’était une crème anesthésiante... Une crème qui continue à endormir au niveau de la main... et vous fait ressentir la main de plus en plus confortable... Et c’est à vous de voir, si la sensation que vous avez est suffisante pour que vous sentiez cette main protégée... Confortable et insensible... Ou si vous voulez encore ajouter un peu plus de protection... Peut-être pouvez-vous imaginer que vous rajoutez des bandages... Une armure... Ce que vous voulez... Pour que petit à petit cette main soit protégée... Tranquillement... Les sensations sont de plus en plus confortables... Peut-être est-ce toujours aussi subtil... Ou au contraire, les sensations changent encore... Très très bien (je continue à masser la main de la patiente)... Et on prend le temps de laisser cette sensation se diffuser... Petit à petit... Dans toute la main... Un peu comme si la crème avait des vertus magiques... Des vertus apaisantes... Et au-delà de la peau, comme si cela pouvait aller en profondeur... Au niveau des muscles... Au niveau des articulations... Et tout relâcher... C’est très bien... Vous pouvez juste profiter de la sensation agréable de la main... De son relâchement... De son confort... Juste laisser aller... C’est très bien... Lorsque vous le souhaiterez dans la journée... vous pourrez juste masser la main ou la mettre dans le chaud... Pour retrouver cette sensation de protection... de relâchement... Cette sensation de main confortable... C’est très bien...
Et petit à petit je vous laisse imaginer... que vous allez retirer ces protections que vous avez mis sur les doigts... Retirer ce gant... Et le ranger à un endroit... A un endroit dans lequel vous allez pouvoir le récupérer facilement... Un endroit où dès que vous en aurez besoin, vous pourrez remettre ce gant magique pour protéger votre main... Très bien... Et petit à petit je vous invite à ressentir à nouveau les sensations dans la main... Dans la main telle qu’elle est maintenant... Maintenant que vous avez enlevé le gant... vous vous réappropriez doucement chacun de vos doigts... la sensation dans la main... Très très bien... Et doucement, à votre rythme, revenir ici, tranquillement, dans cette pièce... Vous allez pouvoir bouger doucement la main... » ANALYSE DES IMPACTS Détaillons à présent les effets des séances d’hypnose réalisées en rééducation de la main post-opératoire sur les différents items étudiés. • Impact de l’hypnose sur la kinésiophobie Décrite pour la première fois en 1990 par Kori et coll., la kinésiophobie est alors décrite comme « une peur excessive, irrationnelle et débilitante des mouvements et des activités physiques résultant d’un sentiment de vulnérabilité à une blessure douloureuse ou à une nouvelle blessure » (1).
Après les séances d’hypnose, j’ai pu noter une diminution de la focalisation des patients sur leur zone opérée ainsi qu’une diminution de la tendance à l’évitement des activités sur l’échelle validée de Tampa. • Impact de l’hypnose sur le catastrophisme Selon Sullivan et coll. (2), en 1995, le catastrophisme se définit comme un biais cognitif induisant un fonctionnement de la pensée du patient autour de trois axes qui vont majorer les répercussions douloureuses : un sentiment d’impuissance face à la douleur, une rumination de cet état douloureux, une focalisation sur les sensations douloureuses. Ces deux biais, comportementaux pour la kinésiophobie et cognitif pour le catastrophisme, conduisent le patient à une attitude qui le fait entrer dans un cercle vicieux de peur-évitement (3).
En post-tests, les patients ont un score de catastrophisme plus faible et une diminution du sentiment d’impuissance face à la douleur sur l’échelle PCS (« Pain catastrophing scale »). • Impact de l’hypnose sur la douleur Selon la dernière définition de l’IASP en 2020 (4), la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes de cette lésion. Après les séances d’hypnose, je remarque que les patients ont une cotation de score de douleur à l’échelle numérique quasi nulle.
Cela va même au-delà des résultats présentés par Miyuki Mizutani lors du World Congress of Pain en 2018, à savoir que 71 % des patients ayant accepté de faire des séances d’hypnose ont obtenu un effet antalgique pendant la séance, et que sur ces patients ayant obtenu une analgésie en séance, 65 % d’entre eux ont gardé des effets après la séance. • Impact de l’hypnose sur l’anxiété et la dépression Selon le DSM-5 (5), l’anxiété peut se définir comme « l’anticipation d’une menace future » et les troubles dépressifs comme…
Pour lire la suite...
Maud-Roxane Delatte Kinésithérapeute libérale depuis 2007, exerce en cabinet à Mont-de-Marsan (Landes) où elle partage son activité entre la rééducation de la main et l’accompagnement des douleurs en hypnose. DIU Rééducation et appareillage en chirurgie de la main (université de Grenoble), DU Douleur et DIU d’Hypnose médicale, clinique et thérapeutique (université de Bordeaux).
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Dans le cadre de l’utilisation conjointe de la kinésithérapie et de l’hypnose, nous pouvons citer notre confrère Théo Chaumeil, qui a effectué en 2018 une revue de la littérature des études pour lesquelles, je cite : « L’hypnose a montré un intérêt antalgique dans la prise en charge de la douleur aussi bien aiguë que chronique. Plusieurs études ayant montré des résultats intéressants ont été réalisées dans le cadre de pathologies prises en charge par les masseurs-kinésithérapeutes comme la lombalgie chronique, les céphalées, les douleurs arthrosiques, temporo-mandibulaires, la sclérose en plaques ou encore la fibromyalgie. » Mais qu’en est-il des effets de l’hypnose dans le domaine spécifique de la rééducation de la main en post-opératoire ?
De décembre 2023 à avril 2024, j’ai réalisé des séances d’hypnose formelle au cabinet en plus de la prise en charge rééducative et des conseils d’autohypnose. Ces patients ont rempli des échelles et questionnaires validés scientifiquement, avant et après les séances d’hypnose, selon une démarche d’« evidence based practice ».
SÉANCE D’HYPNOSE FORMELLE
Voici un exemple de séance d’hypnose formelle réalisée en post-opératoire d’une chirurgie prothétique du pouce auprès d’une patiente suivie au cabinet de kinésithérapie lors de sa rééducation...
- Thérapeute : « Je vous propose de vous caler sur la respiration... Tranquillement, on va inspirer... OK, super... et souffler... Vous allez sûrement sentir le ventre qui se gonfle... et se dégonfle... au rythme de votre respiration... tranquillement... Vous pouvez si vous le souhaitez (j’adapte mes suggestions à ce que j’observe chez ma patiente) fixer un point au plafond... Ou fermer les yeux... Vous faites à votre rythme...
Et comme vous êtes bien... Le plus important étant d’être bien... de prendre du temps pour soi... pour retrouver du calme... de la détente... et surtout d’améliorer le confort de cette main... Cette main sur laquelle on va travailler tout à l’heure... Et sur laquelle, aussi, si vous souhaitez, vous pouvez focaliser votre attention... Ressentir toutes les sensations qu’il y a ressentir pour le moment... La température... les sensations à l’intérieur de la main... Est-ce que c’est fluide, ça bouge bien ?... Est-ce qu’au contraire vous sentez comme si c’était serré comme si c’était un étau ?... Si elle est chaude ?... Si elle est froide ?... Vous focalisez sur ce que vous sentez, là... actuellement... Et au rythme de votre respiration... et des sensations de la main... tranquillement... Vous pouvez continuer à fixer votre point... Très bien...
Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous allons travailler sur la sensation... La sensation modifiée au niveau de la main... Et comme si on allait enfiler un gant... un gant anesthésiant... On va essayer de travailler sur la modification de cette sensibilité... Et vous allez déjà pouvoir imaginer ce gant... De quelle texture il est... de quelle couleur il est... On va l’enfiler tranquillement, en commençant par le pouce (j’accompagne la description par une pression glissée sur la face dorsale de chaque doigt cité)... Voilà... Et petit à petit, les sensations vont se modifier dans toute la main... Parce que c’est un gant qu’on enfile doigt par doigt... tranquillement... Sur l’index... sur le majeur... sur l’annulaire... et sur le petit doigt... et à l’intérieur de la main... progressivement... Doucement, les sensations changent... Et ça peut être tout léger... subtil... Ou au contraire, vous pouvez le sentir davantage... Il peut y avoir un peu de fraîcheur de la crème...
Et c’est comme si c’était une crème anesthésiante... Une crème qui continue à endormir au niveau de la main... et vous fait ressentir la main de plus en plus confortable... Et c’est à vous de voir, si la sensation que vous avez est suffisante pour que vous sentiez cette main protégée... Confortable et insensible... Ou si vous voulez encore ajouter un peu plus de protection... Peut-être pouvez-vous imaginer que vous rajoutez des bandages... Une armure... Ce que vous voulez... Pour que petit à petit cette main soit protégée... Tranquillement... Les sensations sont de plus en plus confortables... Peut-être est-ce toujours aussi subtil... Ou au contraire, les sensations changent encore... Très très bien (je continue à masser la main de la patiente)... Et on prend le temps de laisser cette sensation se diffuser... Petit à petit... Dans toute la main... Un peu comme si la crème avait des vertus magiques... Des vertus apaisantes... Et au-delà de la peau, comme si cela pouvait aller en profondeur... Au niveau des muscles... Au niveau des articulations... Et tout relâcher... C’est très bien... Vous pouvez juste profiter de la sensation agréable de la main... De son relâchement... De son confort... Juste laisser aller... C’est très bien... Lorsque vous le souhaiterez dans la journée... vous pourrez juste masser la main ou la mettre dans le chaud... Pour retrouver cette sensation de protection... de relâchement... Cette sensation de main confortable... C’est très bien...
Et petit à petit je vous laisse imaginer... que vous allez retirer ces protections que vous avez mis sur les doigts... Retirer ce gant... Et le ranger à un endroit... A un endroit dans lequel vous allez pouvoir le récupérer facilement... Un endroit où dès que vous en aurez besoin, vous pourrez remettre ce gant magique pour protéger votre main... Très bien... Et petit à petit je vous invite à ressentir à nouveau les sensations dans la main... Dans la main telle qu’elle est maintenant... Maintenant que vous avez enlevé le gant... vous vous réappropriez doucement chacun de vos doigts... la sensation dans la main... Très très bien... Et doucement, à votre rythme, revenir ici, tranquillement, dans cette pièce... Vous allez pouvoir bouger doucement la main... » ANALYSE DES IMPACTS Détaillons à présent les effets des séances d’hypnose réalisées en rééducation de la main post-opératoire sur les différents items étudiés. • Impact de l’hypnose sur la kinésiophobie Décrite pour la première fois en 1990 par Kori et coll., la kinésiophobie est alors décrite comme « une peur excessive, irrationnelle et débilitante des mouvements et des activités physiques résultant d’un sentiment de vulnérabilité à une blessure douloureuse ou à une nouvelle blessure » (1).
Après les séances d’hypnose, j’ai pu noter une diminution de la focalisation des patients sur leur zone opérée ainsi qu’une diminution de la tendance à l’évitement des activités sur l’échelle validée de Tampa. • Impact de l’hypnose sur le catastrophisme Selon Sullivan et coll. (2), en 1995, le catastrophisme se définit comme un biais cognitif induisant un fonctionnement de la pensée du patient autour de trois axes qui vont majorer les répercussions douloureuses : un sentiment d’impuissance face à la douleur, une rumination de cet état douloureux, une focalisation sur les sensations douloureuses. Ces deux biais, comportementaux pour la kinésiophobie et cognitif pour le catastrophisme, conduisent le patient à une attitude qui le fait entrer dans un cercle vicieux de peur-évitement (3).
En post-tests, les patients ont un score de catastrophisme plus faible et une diminution du sentiment d’impuissance face à la douleur sur l’échelle PCS (« Pain catastrophing scale »). • Impact de l’hypnose sur la douleur Selon la dernière définition de l’IASP en 2020 (4), la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes de cette lésion. Après les séances d’hypnose, je remarque que les patients ont une cotation de score de douleur à l’échelle numérique quasi nulle.
Cela va même au-delà des résultats présentés par Miyuki Mizutani lors du World Congress of Pain en 2018, à savoir que 71 % des patients ayant accepté de faire des séances d’hypnose ont obtenu un effet antalgique pendant la séance, et que sur ces patients ayant obtenu une analgésie en séance, 65 % d’entre eux ont gardé des effets après la séance. • Impact de l’hypnose sur l’anxiété et la dépression Selon le DSM-5 (5), l’anxiété peut se définir comme « l’anticipation d’une menace future » et les troubles dépressifs comme…
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Maud-Roxane Delatte Kinésithérapeute libérale depuis 2007, exerce en cabinet à Mont-de-Marsan (Landes) où elle partage son activité entre la rééducation de la main et l’accompagnement des douleurs en hypnose. DIU Rééducation et appareillage en chirurgie de la main (université de Grenoble), DU Douleur et DIU d’Hypnose médicale, clinique et thérapeutique (université de Bordeaux).
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
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Illustrations de Caroline Berthet
Scoliose et hypnose.
Retrouver enfin le premier rôle dans le film de ta vie. Rachel REY pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 76.
SPH... Trois lettres pour désigner un travail mené avec les suggestions post-hypnotiques, réalisé ici sur une patiente de 16 ans en attente d’une opération de chirurgie orthopédique. L’objectif : apaiser une forte anxiété, préparer aux différentes étapes de l’opération, recadrer la douleur, insuffler du confort et de la détente pour mieux aborder la voie de la guérison.
Depuis longtemps, tu es obligé de porter un corset, qui entrave tes mouvements et limite tes actions. « C’est pour ton bien ! », te répète-t-on. Les consultations et les examens radiologiques se succèdent années après années, tout au long de ta croissance. De praticiens en praticiens, de consultations en consultations, tu es guidé. Et puis un jour, on t’explique que tu dois être opéré de cette scoliose idiopathique devenue trop importante. Que l’on va mettre en place des implants métalliques le long de ta colonne vertébrale afin de la redresser. Depuis ton plus jeune âge tu as suivi et respecté les consignes et aujourd’hui tu es face à cette nécessité, avec toute l’angoisse que cela comporte.
Comment te redonner la possibilité de retrouver enfin le premier rôle dans le film de ta vie ? Proposer aux parents et aux enfants une préparation par l’hypnose en amont de cette chirurgie lourde, invalidante, douloureuse et très anxiogène. Du port du corset thoracique, en passant par une préparation spécifique dans un établissement de rééducation. Un long travail en kinésithérapie est imposé aux enfants, extensions sur des brancards de traction, exercices respiratoires destinés à améliorer le recrutement pulmonaire, apprentissage des techniques de mobilisation en bloc pour faciliter les levers et permettre de réaliser les gestes de la vie quotidienne en épargnant la colonne vertébrale.
Avec bien évidemment un suivi post-opératoire tout aussi pesant, qui nécessite plusieurs jours en réanimation afin de gérer la douleur, les nausées, les vomissements, la reprise du transit, les pansements chirurgicaux et les mobilisations jusqu’au premier lever, suivi d’un séjour en service de chirurgie pour finir par le retour en service de rééducation fonctionnelle.
OBJECTIF DE TRAVAIL ET TECHNIQUES D’HYPNOANALGÉSIE.
L’objectif de cet accompagnement hypnotique est multiple. Il vise à réduire l’anxiété préopératoire, à recadrer et agir sur la douleur, à redonner un sentiment de contrôle au patient et enfin à favoriser une réhabilitation précoce. Le protocole propose deux séances d’hypnose en préopératoire à une semaine d’intervalle, ce qui permet de laisser émerger les demandes, les remarques éventuelles des enfants ou des parents. La première séance consiste à établir la relation de confiance indispensable à toute prise en charge.
Démystifier l’hypnose, expliquer comment on se prépare et surtout pourquoi cela a un ressenti positif. Répondre aux interrogations, reformuler, recadrer, obtenir un « yes set », délivrer les autorisations et accompagner l’enfant dans la recherche de son souvenir agréable ou de son lieu sécure actif. Puis le guider vers une transe, valider un signaling et enfin réaliser un ancrage. Suit le débriefing de la séance, une prescription de tâche, autohypnose et pour finir la prise de rendez-vous pour la semaine qui suit. Evocation de la séance prochaine avec l’anticipation agréablement surprenante du jour J. La deuxième séance consiste à évoquer la tâche. A-t-elle été réalisée ? Si non, qu’a fait l’enfant de plus utile pour lui ? Puis proposer à l’enfant de se mettre en autohypnose avec son geste en l’accompagnant pour s’assurer de la qualité de l’ancrage. Retrouver le lieu sécure actif, permettre une double dissociation avec une anticipation au jour de la chirurgie. Le travail de suggestion est axé sur la prémédication, le relâchement musculaire, le contrôle du saignement, la cicatrisation et le recadrage de la douleur. Enfin, un soin est porté sur les suggestions concernant la prise en charge en réanimation avec l’évocation d’une facilité pour l’élimination, la réalimentation, le confort, la détente et une réhabilitation rapide. Comme lors de la séance précédente, on réalise un débriefing, on répond aux questions et on se donne rendez-vous pour le jour libérateur.
CAS CLINIQUE
Présentation C. a 16 ans et doit bénéficier d’une ostéosynthèse du rachis. On note dans les antécédents chirurgicaux, à l’âge de 9 ans, une fracture des deux os de l’avant-bras lors d’une chute en quad qui a nécessité une intervention au bloc opératoire. Lors du réveil, C. présente une agitation très importante, des nausées et vomissements post-opératoires (NVPO). Il est noté un contexte d’anxiété très important chez C. et ses parents. Le chirurgien orthopédique propose donc à C. et sa famille un accompagnement par l’hypnose en vue de sa chirurgie future.
Chacun adhère favorablement à cette proposition. La maman me contacte pour la prise de rendez-vous. Elle me dit être très soulagée de cette prise en charge. L’échange téléphonique est très cordial. Première séance Je rencontre C. et sa maman au centre de rééducation. Nous nous installons dans une salle avec des fauteuils et des tapis. Je demande à C. où elle souhaite s’installer ? Elle choisit un fauteuil, j’invite la maman à s’asseoir sur celui de son choix et enfin je me positionne sur le dernier fauteuil. Je leur demande si elles ont déjà entendu parler de l’hypnose et si elles en ont déjà bénéficié. C. me parle de spectacle. J’assure un recadrage. J’explique ce qu’est l’hypnose médicale et comment ça marche. M’adressant à C. : « Lorsque tu es en cours, il t’arrive d’avoir la tête ailleurs, ton prof parle et pourtant, tout en étant là, tes pensées sont ailleurs » (signe de tête affirmatif).
« Vous Madame, en rentrant à la maison en voiture, ne vous êtes-vous jamais surprise à ne plus vous souvenir d’avoir déjà passé ce feu ? (sourire et signe de la tête). C’est un phénomène dissociatif naturel qui se produit plusieurs fois au cours d’une journée, c’est normal et c’est ce phénomène que j’utilise avec l’hypnose. » M’adressant à C. : « En fait, tu sais déjà parfaitement le faire et je vais juste te donner quelques techniques pour que tu puisses utiliser cette capacité que tu as afin d’aider Emilie (c’est le prénom de la chirurgienne avec laquelle elle s’entend très bien) ». Mise en place de l’alliance thérapeutique. Je m’assure qu’elle est bien d’accord pour faire une expérience qui va l’aider à faciliter les gestes du chirurgien. Je n’utilise pas le terme « exercice », car la journée de l’enfant est déjà rythmée par les exercices de kinésithérapie et je ne souhaite pas en rajouter.
Au cours de notre échange, je valide une suite de oui « yes set ». En accord avec C., je propose à la maman de rester pour la séance si elle le souhaite. Je recherche les centres d’intérêt, j’évoque un endroit sécure, un souvenir agréable, les vacances, le sport... C. choisit un circuit moto, car c’est une passion familiale. J’explique que je vais l’accompagner dans cet endroit, et lorsqu’elle s’y trouvera, elle me le fera savoir par un signe de tête ou de doigt (signaling).
Puis je lui demande de choisir un geste, croiser les doigts par exemple, afin de retrouver très facilement ce lieu et les sensations de bien-être, de confort pré-supposé. Je les invite toutes deux à s’installer le plus confortablement possible et je délivre toutes les autorisations, bouger, parler, ouvrir ou fermer les yeux... se sentir libre de faire ce qu’elles veulent. Entendre ou non les bruits qui nous entourent, écouter ma voix (inclusion)... J’obtiens une succession de « oui » qui me permet de valider le « yes set » avant de débuter la séance. Je m’assure qu’elles sont toutes deux confortablement installées. J’utilise une induction respiratoire pour favoriser l’induction d’anesthésie au masque.
Ayant travaillé la respiration avec la kinésithérapeute, C. se sent parfaitement à l’aise, je la félicite, elle sait parfaitement faire les choses... Simplement laisser l’air pénétrer par le nez ou par la bouche sans rien changer, puis en suivre le trajet sans effort, simplement... Approfondissement avec le body scanner : prêter attention aux points d’appui, différence entre la jambe droite... la jambe gauche... ressentir une lourdeur, une légèreté ou tout autre chose, position des bras (confusion). Un relâchement dans les mollets, les cuisses, les épaules, les bras, les muscles de la nuque, du visage, les muscles autour des yeux, avec des mouvements derrière l’écran des paupières fermées (C. a fermé les yeux), puis retour à la respiration pour se rendre compte comme la respiration est devenue encore plus calme, plus confortable, et comme le ventre accompagne la respiration tranquillement, calmement... Profiter de cette respiration pour souffler ce qui n’est plus utile, ce dont elle n’a plus besoin. Emprunter le chemin de son choix avec évocation du VAKOG et apercevoir une porte qu’elle imagine comme elle le souhaite... couleur... matériaux... taille décoration... Enfin, ouvrir cette porte pour entrer dans son endroit de sécurité. Je l’invite à s’installer encore plus confortablement... reprise du body scanner... appuis sur... moto (VAKOG)... les voix, les odeurs, les moteurs... se sentir calme, paisible, tranquille, profiter de ce moment... Je constate les signes de transe au niveau des muscles du visage, des mouvements oculaires, un relâchement des épaules (ratification et félicitations). Je m’assure que C. est bien dans cet endroit où elle se sent bien par un signaling, elle me fait oui de la tête, alors je lui demande de faire son geste (ancrage). Elle croise les doigts... Validation, félicitations.
- Suggestions post-hypnotiques (SPH) : elle retrouvera le confort de cet endroit, sans effort, simplement en faisant ce geste, en fermant les yeux et en laissant la respiration respirer comme elle respire... Elle peut utiliser ce geste chaque fois qu’elle en ressent le besoin, très simplement. Elle peut profiter de ce moment et garder cet état de détente pour les heures, les jours, les semaines qui viennent. Elle peut prendre ce qui est utile pour elle et laisser ce dont elle n’a plus besoin en sachant qu’elle peut toujours le retrouver si elle le souhaite, en laissant l’inconscient se souvenir de ce qui est nécessaire, afin que les choses se passent simplement comme elles doivent se passer. Apprécier le relâchement musculaire, le dos est très relâché, confortable, parfaitement détendu... Le corps sait très bien faire cela. Métaphore de la poupée de chiffon.
- Retour : lorsque tu auras assez profité, lorsque tu auras pris ce qui est utile pour toi et ce dont tu as besoin, tu peux reprendre le chemin, à ton rythme, et revenir dans cette pièce au centre de rééducation.
- Débriefing : sur le ressenti de la séance, si certaines choses ont dérangé, ou si elles souhaitent me faire part de quoi que ce soit. La maman me dit être bien détendue, mais ne pas avoir fait ce que j’ai suggéré. Je lui dis que c’est très bien et qu’elle a certainement fait ce qui était utile pour elle à ce moment précis. C. qui me sourit : « Ouah ! c’est ouf votre truc ! C’est trop bien, je ne voulais pas revenir ! » Je demande à C. si elle a réussi à aller dans son endroit. Elle confirme que oui. Je lui demande si elle a des questions ou des remarques sur cette expérience, s’il y a des choses qui l’ont gênée ou qu’elle souhaite faire différemment la prochaine fois. Je lui précise que c’est important de me le dire pour qu’on puisse être encore plus efficaces toutes les deux la séance prochaine. Elle me précise ne rien vouloir changer. Je vérifie que toutes deux sont d’accord pour bénéficier d’une seconde séance d’hypnose. Tout le monde est volontaire, alors je propose à C. de faire quelque chose qui va être très utile pour elle, pour la chirurgie et pour Emilie la chirurgienne qui va l’opérer.
- Prescription de tâches : je demande à C., jusqu’à notre prochaine rencontre, de réaliser chaque jour au moment de son choix, lorsqu’elle est confortablement installée, le geste qu’elle a choisi et laisser simplement revenir les sensations en fermant les yeux, en se concentrant sur sa respiration et en sentant la position de son corps comme on vient de le faire. Je compare l’autohypnose à la moto : « plus on en fait et plus ça devient simple ». Un rendez-vous est convenu avec C. et sa maman pour la semaine suivante. Je dis à C. que notre prochaine séance sera une révision de sa chirurgie, un peu comme on révise une leçon avant un examen et qu’on sait qu’on est parfaitement prêt et rassuré. « Tu es OK avec ça ? » Comme C. est d’accord, je lui propose…
Rachel Rey Infirmière anesthésiste en pédiatrie au CHU de Nancy depuis 2004. Accompagne les enfants avec l’hypnose en pré, per et post-opératoire. Intervenante à l’école d’IADE pour la prise en charge du nourrisson et de l’enfant. Diplôme universitaire des Techniques d’épuration extrarénale à Strasbourg. Formation hypnose médicale et hypnoanalgésie à l’IFH, hypnose et thérapies brèves à l’Institut UTHyL à Nancy.
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Depuis longtemps, tu es obligé de porter un corset, qui entrave tes mouvements et limite tes actions. « C’est pour ton bien ! », te répète-t-on. Les consultations et les examens radiologiques se succèdent années après années, tout au long de ta croissance. De praticiens en praticiens, de consultations en consultations, tu es guidé. Et puis un jour, on t’explique que tu dois être opéré de cette scoliose idiopathique devenue trop importante. Que l’on va mettre en place des implants métalliques le long de ta colonne vertébrale afin de la redresser. Depuis ton plus jeune âge tu as suivi et respecté les consignes et aujourd’hui tu es face à cette nécessité, avec toute l’angoisse que cela comporte.
Comment te redonner la possibilité de retrouver enfin le premier rôle dans le film de ta vie ? Proposer aux parents et aux enfants une préparation par l’hypnose en amont de cette chirurgie lourde, invalidante, douloureuse et très anxiogène. Du port du corset thoracique, en passant par une préparation spécifique dans un établissement de rééducation. Un long travail en kinésithérapie est imposé aux enfants, extensions sur des brancards de traction, exercices respiratoires destinés à améliorer le recrutement pulmonaire, apprentissage des techniques de mobilisation en bloc pour faciliter les levers et permettre de réaliser les gestes de la vie quotidienne en épargnant la colonne vertébrale.
Avec bien évidemment un suivi post-opératoire tout aussi pesant, qui nécessite plusieurs jours en réanimation afin de gérer la douleur, les nausées, les vomissements, la reprise du transit, les pansements chirurgicaux et les mobilisations jusqu’au premier lever, suivi d’un séjour en service de chirurgie pour finir par le retour en service de rééducation fonctionnelle.
OBJECTIF DE TRAVAIL ET TECHNIQUES D’HYPNOANALGÉSIE.
L’objectif de cet accompagnement hypnotique est multiple. Il vise à réduire l’anxiété préopératoire, à recadrer et agir sur la douleur, à redonner un sentiment de contrôle au patient et enfin à favoriser une réhabilitation précoce. Le protocole propose deux séances d’hypnose en préopératoire à une semaine d’intervalle, ce qui permet de laisser émerger les demandes, les remarques éventuelles des enfants ou des parents. La première séance consiste à établir la relation de confiance indispensable à toute prise en charge.
Démystifier l’hypnose, expliquer comment on se prépare et surtout pourquoi cela a un ressenti positif. Répondre aux interrogations, reformuler, recadrer, obtenir un « yes set », délivrer les autorisations et accompagner l’enfant dans la recherche de son souvenir agréable ou de son lieu sécure actif. Puis le guider vers une transe, valider un signaling et enfin réaliser un ancrage. Suit le débriefing de la séance, une prescription de tâche, autohypnose et pour finir la prise de rendez-vous pour la semaine qui suit. Evocation de la séance prochaine avec l’anticipation agréablement surprenante du jour J. La deuxième séance consiste à évoquer la tâche. A-t-elle été réalisée ? Si non, qu’a fait l’enfant de plus utile pour lui ? Puis proposer à l’enfant de se mettre en autohypnose avec son geste en l’accompagnant pour s’assurer de la qualité de l’ancrage. Retrouver le lieu sécure actif, permettre une double dissociation avec une anticipation au jour de la chirurgie. Le travail de suggestion est axé sur la prémédication, le relâchement musculaire, le contrôle du saignement, la cicatrisation et le recadrage de la douleur. Enfin, un soin est porté sur les suggestions concernant la prise en charge en réanimation avec l’évocation d’une facilité pour l’élimination, la réalimentation, le confort, la détente et une réhabilitation rapide. Comme lors de la séance précédente, on réalise un débriefing, on répond aux questions et on se donne rendez-vous pour le jour libérateur.
CAS CLINIQUE
Présentation C. a 16 ans et doit bénéficier d’une ostéosynthèse du rachis. On note dans les antécédents chirurgicaux, à l’âge de 9 ans, une fracture des deux os de l’avant-bras lors d’une chute en quad qui a nécessité une intervention au bloc opératoire. Lors du réveil, C. présente une agitation très importante, des nausées et vomissements post-opératoires (NVPO). Il est noté un contexte d’anxiété très important chez C. et ses parents. Le chirurgien orthopédique propose donc à C. et sa famille un accompagnement par l’hypnose en vue de sa chirurgie future.
Chacun adhère favorablement à cette proposition. La maman me contacte pour la prise de rendez-vous. Elle me dit être très soulagée de cette prise en charge. L’échange téléphonique est très cordial. Première séance Je rencontre C. et sa maman au centre de rééducation. Nous nous installons dans une salle avec des fauteuils et des tapis. Je demande à C. où elle souhaite s’installer ? Elle choisit un fauteuil, j’invite la maman à s’asseoir sur celui de son choix et enfin je me positionne sur le dernier fauteuil. Je leur demande si elles ont déjà entendu parler de l’hypnose et si elles en ont déjà bénéficié. C. me parle de spectacle. J’assure un recadrage. J’explique ce qu’est l’hypnose médicale et comment ça marche. M’adressant à C. : « Lorsque tu es en cours, il t’arrive d’avoir la tête ailleurs, ton prof parle et pourtant, tout en étant là, tes pensées sont ailleurs » (signe de tête affirmatif).
« Vous Madame, en rentrant à la maison en voiture, ne vous êtes-vous jamais surprise à ne plus vous souvenir d’avoir déjà passé ce feu ? (sourire et signe de la tête). C’est un phénomène dissociatif naturel qui se produit plusieurs fois au cours d’une journée, c’est normal et c’est ce phénomène que j’utilise avec l’hypnose. » M’adressant à C. : « En fait, tu sais déjà parfaitement le faire et je vais juste te donner quelques techniques pour que tu puisses utiliser cette capacité que tu as afin d’aider Emilie (c’est le prénom de la chirurgienne avec laquelle elle s’entend très bien) ». Mise en place de l’alliance thérapeutique. Je m’assure qu’elle est bien d’accord pour faire une expérience qui va l’aider à faciliter les gestes du chirurgien. Je n’utilise pas le terme « exercice », car la journée de l’enfant est déjà rythmée par les exercices de kinésithérapie et je ne souhaite pas en rajouter.
Au cours de notre échange, je valide une suite de oui « yes set ». En accord avec C., je propose à la maman de rester pour la séance si elle le souhaite. Je recherche les centres d’intérêt, j’évoque un endroit sécure, un souvenir agréable, les vacances, le sport... C. choisit un circuit moto, car c’est une passion familiale. J’explique que je vais l’accompagner dans cet endroit, et lorsqu’elle s’y trouvera, elle me le fera savoir par un signe de tête ou de doigt (signaling).
Puis je lui demande de choisir un geste, croiser les doigts par exemple, afin de retrouver très facilement ce lieu et les sensations de bien-être, de confort pré-supposé. Je les invite toutes deux à s’installer le plus confortablement possible et je délivre toutes les autorisations, bouger, parler, ouvrir ou fermer les yeux... se sentir libre de faire ce qu’elles veulent. Entendre ou non les bruits qui nous entourent, écouter ma voix (inclusion)... J’obtiens une succession de « oui » qui me permet de valider le « yes set » avant de débuter la séance. Je m’assure qu’elles sont toutes deux confortablement installées. J’utilise une induction respiratoire pour favoriser l’induction d’anesthésie au masque.
Ayant travaillé la respiration avec la kinésithérapeute, C. se sent parfaitement à l’aise, je la félicite, elle sait parfaitement faire les choses... Simplement laisser l’air pénétrer par le nez ou par la bouche sans rien changer, puis en suivre le trajet sans effort, simplement... Approfondissement avec le body scanner : prêter attention aux points d’appui, différence entre la jambe droite... la jambe gauche... ressentir une lourdeur, une légèreté ou tout autre chose, position des bras (confusion). Un relâchement dans les mollets, les cuisses, les épaules, les bras, les muscles de la nuque, du visage, les muscles autour des yeux, avec des mouvements derrière l’écran des paupières fermées (C. a fermé les yeux), puis retour à la respiration pour se rendre compte comme la respiration est devenue encore plus calme, plus confortable, et comme le ventre accompagne la respiration tranquillement, calmement... Profiter de cette respiration pour souffler ce qui n’est plus utile, ce dont elle n’a plus besoin. Emprunter le chemin de son choix avec évocation du VAKOG et apercevoir une porte qu’elle imagine comme elle le souhaite... couleur... matériaux... taille décoration... Enfin, ouvrir cette porte pour entrer dans son endroit de sécurité. Je l’invite à s’installer encore plus confortablement... reprise du body scanner... appuis sur... moto (VAKOG)... les voix, les odeurs, les moteurs... se sentir calme, paisible, tranquille, profiter de ce moment... Je constate les signes de transe au niveau des muscles du visage, des mouvements oculaires, un relâchement des épaules (ratification et félicitations). Je m’assure que C. est bien dans cet endroit où elle se sent bien par un signaling, elle me fait oui de la tête, alors je lui demande de faire son geste (ancrage). Elle croise les doigts... Validation, félicitations.
- Suggestions post-hypnotiques (SPH) : elle retrouvera le confort de cet endroit, sans effort, simplement en faisant ce geste, en fermant les yeux et en laissant la respiration respirer comme elle respire... Elle peut utiliser ce geste chaque fois qu’elle en ressent le besoin, très simplement. Elle peut profiter de ce moment et garder cet état de détente pour les heures, les jours, les semaines qui viennent. Elle peut prendre ce qui est utile pour elle et laisser ce dont elle n’a plus besoin en sachant qu’elle peut toujours le retrouver si elle le souhaite, en laissant l’inconscient se souvenir de ce qui est nécessaire, afin que les choses se passent simplement comme elles doivent se passer. Apprécier le relâchement musculaire, le dos est très relâché, confortable, parfaitement détendu... Le corps sait très bien faire cela. Métaphore de la poupée de chiffon.
- Retour : lorsque tu auras assez profité, lorsque tu auras pris ce qui est utile pour toi et ce dont tu as besoin, tu peux reprendre le chemin, à ton rythme, et revenir dans cette pièce au centre de rééducation.
- Débriefing : sur le ressenti de la séance, si certaines choses ont dérangé, ou si elles souhaitent me faire part de quoi que ce soit. La maman me dit être bien détendue, mais ne pas avoir fait ce que j’ai suggéré. Je lui dis que c’est très bien et qu’elle a certainement fait ce qui était utile pour elle à ce moment précis. C. qui me sourit : « Ouah ! c’est ouf votre truc ! C’est trop bien, je ne voulais pas revenir ! » Je demande à C. si elle a réussi à aller dans son endroit. Elle confirme que oui. Je lui demande si elle a des questions ou des remarques sur cette expérience, s’il y a des choses qui l’ont gênée ou qu’elle souhaite faire différemment la prochaine fois. Je lui précise que c’est important de me le dire pour qu’on puisse être encore plus efficaces toutes les deux la séance prochaine. Elle me précise ne rien vouloir changer. Je vérifie que toutes deux sont d’accord pour bénéficier d’une seconde séance d’hypnose. Tout le monde est volontaire, alors je propose à C. de faire quelque chose qui va être très utile pour elle, pour la chirurgie et pour Emilie la chirurgienne qui va l’opérer.
- Prescription de tâches : je demande à C., jusqu’à notre prochaine rencontre, de réaliser chaque jour au moment de son choix, lorsqu’elle est confortablement installée, le geste qu’elle a choisi et laisser simplement revenir les sensations en fermant les yeux, en se concentrant sur sa respiration et en sentant la position de son corps comme on vient de le faire. Je compare l’autohypnose à la moto : « plus on en fait et plus ça devient simple ». Un rendez-vous est convenu avec C. et sa maman pour la semaine suivante. Je dis à C. que notre prochaine séance sera une révision de sa chirurgie, un peu comme on révise une leçon avant un examen et qu’on sait qu’on est parfaitement prêt et rassuré. « Tu es OK avec ça ? » Comme C. est d’accord, je lui propose…
Rachel Rey Infirmière anesthésiste en pédiatrie au CHU de Nancy depuis 2004. Accompagne les enfants avec l’hypnose en pré, per et post-opératoire. Intervenante à l’école d’IADE pour la prise en charge du nourrisson et de l’enfant. Diplôme universitaire des Techniques d’épuration extrarénale à Strasbourg. Formation hypnose médicale et hypnoanalgésie à l’IFH, hypnose et thérapies brèves à l’Institut UTHyL à Nancy.
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Catégories: Hypnose Ericksonienne Thérapie Brève
Corinne ou l'importance du dialogue stratégique. La tâche thérapeutique des 30 minutes du pire.
Revue Hypnose et Thérapies Brèves 76. « Peurs-peurs-peurs »... tout un mécanisme de peurs dans lequel la patiente Corinne se débat. Peur de l’abandon, peur de la mort, de la dépression... et pour seule stratégie, s’infliger de la douleur pour calmer ces peurs. Un entretien basé sur « l’Expérience émotionnelle correctrice » a pour but d’inverser le mécanisme.
On a longtemps affirmé, ou plutôt, il m’a semblé souvent entendre, que dans le modèle de Thérapie stratégique, issu du MRI (Mental Research Institute) de Palo Alto, il fallait trouver le paradoxe préalable, ainsi que la Tentative de solution inefficace (qui se reproduit sans cesse face au même problème), puis de déjà la stopper dans un premier temps, et enfin de « confronter », d’« exposer », ou encore de « provoquer » le patient, en lui proposant parfois (mais pas systématiquement) une solution (ou tâche) paradoxale...
Le tout avec toujours beaucoup de bienveillance, comme aime à le souligner notre ami Yves Doutrelugne, grand expert de cette pratique. Nous avons tous en tête le jeune Erickson et son fameux « Veau » (que vous trouverez sans effort sur Internet, pour ceux qui souhaiteraient se rafraîchir la mémoire...), ainsi que bien d’autres analogies ou métaphores, que chaque formateur aime utiliser afin d’illustrer cette démarche. Démarche qui, si elle est effectivement implacable, n’en est cependant pas si simple à mettre en oeuvre, et nous en avons tous fait l’expérience, car s’il suffisait simplement de suivre et d’appliquer une « méthode » ou encore un « process », nous pourrions nous contenter de dire alors à ce patient, souffrant de troubles anxieux depuis des années : « Ecoutez-moi bien, mon cher Monsieur... il convient de stopper vos tentatives d’évitement, quelles qu’elles soient, et puis ensuite simplement de vous confronter à vos peurs... Et tout ira bien, le tour sera joué... Voilà tout... » CQFD. C’est facile...
On vient d’inventer « le fil à couper le beurre », comme le dirait mieux que moi Dominique Megglé. Dans l’exemple clinique dont je vais vous parler, la tâche thérapeutique des « 30 minutes du pire », bien connue, très largement documentée, et enseignée dans tous les bons instituts, repose surtout et avant tout sur un « Dialogue stratégique » qui va conditionner la disponibilité du patient à exécuter cette tâche... Comme vous le constaterez, cette « conversation en entonnoir » va bien au-delà d’une simple discussion, il s’agit d’une communication hypnotique sans transe formelle. Cette conversation provoque une activation cognitive qui induit une « Expérience émotionnelle correctrice ». Et c’est bien cette expérience « incarnée » (qui se passe avant tout dans le corps) qui va amener, ici, la patiente à accepter cette tâche thérapeutique comme étant la seule alternative possible à l’issue de l’entretien.
Comme nous l’a redit Giorgio Nardone, lors de sa venue à Nantes en septembre dernier : « Ne vous y trompez pas, cette conversation qui amène le patient à ressentir cette Expérience émotionnelle correctrice est une induction hypnotique. » Cet entretien, comme vous le constaterez, est ponctué de nombreuses pauses (« ... »), que vous pourrez également respecter en le lisant. Ces pauses, comme le disait Alain Vallée, sont parfois essentielles à la fluidité du discours et permettent bien souvent aux phrases de rentrer dans le corps... Tout en donnant au thérapeute le temps de réfléchir... La patiente s’appelle Corinne, elle a 66 ans, et je la rencontre pour la première fois.
- Thérapeute : « Qu’est-ce qui vous amène ?
- Corinne : Quand j’ai pris rendez-vous c’était pour une autre raison, mais maintenant je ne sais plus trop… Depuis quatre semaines, je suis rentrée de vacances et j’ai pris la décision de rompre d’avec mon compagnon. Il est plus âgé que moi de dix ans, ça fait sept ans qu’on est ensemble, et ça ne va plus depuis déjà trop longtemps… Et là j’ai pris la décision de me séparer, je lui ai dit qu’on devait faire une pause, mais je sais bien que c’est fini pour moi... Et je ne sais pas comment je vais m’en sortir.
- Th. : OK... Vous me dites que vous avez pris rendez-vous pour un problème, et que depuis, il y a eu quatre semaines… Et que depuis vous avez pris la décision de rompre… Et que depuis vous savez plus trop, ni surtout comment vous allez vous en sortir... C’est bien ça ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Et dans la situation de maintenant, pour vous, le problème… celui qui une fois réglé vous rapporterait le plus… sans pour autant oublier les autres… Pour vous, là, maintenant… ça serait quoi ?…
- Corinne : Je crois que c’est ça, cette rupture… Et en même temps que c’est en lien avec mes problèmes d’avant.
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si je vous demande “c’est quoi” vos problèmes d’avant ?
- Corinne : C’est ma peur de la mort, et aussi et surtout la peur d’être abandonnée.
- Th. : Et vous pouvez m’en dire un peu plus sur ce que c’est… chez vous… la peur de la mort, la peur de l’abandon... et peut-être d’autres peurs, que vous avez encore ?
- Corinne : Oh, oui. J’en ai plein d’autres vous savez… Je sais même pas si on aura assez de temps aujourd’hui pour que je vous parle de tout ça.
- Th. : Ah bon ? C’est autant que ça ? Vous savez moi j’ai appris à être très patient avec mon métier… Récemment j’ai soigné un patient qui était venu avec un carnet, dans lequel il avait répertorié 43 situations… Oui… 43 situations, toutes concrètes, toutes valides. Et vous savez… aujourd’hui il parvient de nouveau à sortir de chez lui progressivement… Et il recommence à faire face… petit à petit… sans forcément que ça marche à chaque fois… A tout un tas de situations auxquelles il n’imaginait pas, auparavant, être en mesure de se confronter de nouveau… Et ça semble déjà être beaucoup plus satisfaisant pour lui…
- Corinne : Oui, vous savez, ça fait depuis l’âge de 15 ans que je vis avec toutes ces peurs. La raison je la connais bien, et c’est pour ça que j’ai jamais consulté jusque-là. Mon père, ou plutôt celui que je croyais être mon père, ce n’était pas mon vrai père... Et je l’ai appris comme ça, là, à l’âge de 15 ans... Et alors vous savez, ça n’a pas été facile de vivre avec ça, je me suis ensuite mariée, j’ai eu des enfants, mais j’ai toujours eu plein de peurs qui se sont développées à partir de ce moment. Tout un tas de peurs que j’avais pas avant… Peur que mon mari me quitte, peur de mourir, peur de me retrouver seule... Celle-là je crois que c’est la pire… Peur pour mes enfants… Et alors plus tard, j’ai essayé de retrouver mon géniteur, et ça n’a pas bien fonctionné… Il m’a répondu, mais il m’a dit que je ne faisais partie de sa vie que “virtuellement”… Virtuellement… Vous vous rendez compte, alors que moi je suis bien réelle… Mes parents eux n’ont pas compris ma démarche, ils m’ont même trouvée idiote de faire ça… Et mon père d’adoption, celui que j’ai toujours appelé “papa”… lui… il m’en a même voulu…
- Th. : OK… Et vous me dites que d’avoir retrouvé votre géniteur et tout ça… Sur vos mécanismes de peur… ça n’a tout simplement pas fonctionné… C’est ça ?
- Corinne : Oui, c’est ça...
- Th. : Comme si parfois on cherchait dans le passé une solution au problème de maintenant. Et que ça ne marche pas ?
- Corinne : Oui, effectivement...
- Th. : Et vous avez raison… Ça ne marche pas… Et si vous me le permettez, je vous poserais même encore une autre question ?...
- Corinne : Oui, bien sûr. Allez-y...
- Th. : Et si… avoir retrouvé votre géniteur… et toutes les conséquences que ça a pu avoir sur vous, sur vos parents, etc... ça pouvait avoir eu un tout petit impact sur votre problème… sur vos peurs… Pour vous, cet impact… ça a été mieux ou ça a été pire ?…
- Corinne : Pire, bien sûr…
- Th. : Et pendant tout ce temps, pendant toutes ces années, quand toutes ces peurs revenaient, et je vous crois qu’il peut y en avoir eu beaucoup… Comment est-ce qu’elle faisait cette personne, pour en atténuer le signal ?
- Corinne : Ça va paraître idiot ce que je vais vous dire... mais je me suis toujours servi de la douleur…
- Th. : De la douleur ?
- Corinne : Oui… Un jour j’ai découvert que quand je me faisais mal… ça calmait ma peur… Un peu comme un “contre-feu”…
- Th. : Et je peux vous demander comment vous procédez ?
- Corinne : Oh, rien de bien compliqué… Je me cogne la tête… comme ça… en arrière… Pour que ça se voit pas trop… ça peut arriver quelquefois que je me fasse des marques, alors je le fais vers l‘arrière…
- Th. : OK… Alors ce que vous me dites… si je comprends bien, c’est que pendant toutes ces années, et pendant tout ce temps, le moyen que vous, vous avez mis stratégiquement en place, à chaque fois que vous faites… Ça vous va si on appelle ça des crises ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Comme des “attaques de panique” peutêtre ?
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça.
- Th. : Alors, si je comprends bien, le moyen stratégique, chaque fois que vous faites ces crises, ces attaques de panique… Eh bien vous vous faites mal… Comme ça (avec la gestuelle), en vous cognant la tête en arrière ?
- Corinne : Oui, c‘est ça…
- Th. : Une fois ? Plusieurs fois ?
- Corinne : Très souvent plusieurs fois… Une bonne dizaine de fois au moins la plupart du temps…
- Th. : OK… Merci pour ces précisions… Et que ça… se cogner jusqu’à dix fois la tête en arrière… Eh bien ça casse la crise et qu’ensuite la plupart du temps vous reprenez le cours de votre journée ? Ou de votre nuit ?…
- Corinne : Oui, c’est ça… Sauf que ça n’a pas été tout le temps autant présent dans ma vie…
- Th. : OK… Et là avant de m’appeler, c’était comment ?
- Corinne : Vous savez, depuis que je suis avec Henry, c’est beaucoup moins, peut-être une fois par semaine, ou trois-quatre fois par mois…
- Th. : OK... Mais là vous avez peur que ça soit beaucoup plus…
- Corinne : Oh oui... Et ça… ça me terrorise…
- Th. : OK… Je comprends mieux maintenant en quoi c’est si important pour vous de venir me voir là… en ce moment… alors que vous avez pris la décision de rompre avec Henry… Et que ça vous fait craindre de nouveau de refaire encore plus de crises, et tout et tout…
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça… En plus j’ai déjà assez transmis ces angoisses à ma fille, et maintenant je m’occupe souvent des mes deux petits-fils, je ne voudrais pas leur montrer ce spectacle.
- Th. : Et vous avez bien raison évidemment… Et je ne sais pas pourquoi, mais tout ça… ça me fait penser, vous savez… à ces jeunes adolescentes qui mettent des sweat-shirts à manches longues en plein été, vous savez… Juste pour masquer leurs avant-bras… plein de traces comme ça (gestuelle de scarification...).
- Corinne : Oui... J’en ai entendu parler…
- Th. : Parfois c’est aussi juste comme ça (gestuelle de “claquage”), elles font des trucs avec des élastiques qu’elles se “claquent” tout le temps sur leurs poignets, ou même parfois elles vont jusqu’à se faire de plus grosses entailles avec des compas, ou des rasoirs... Elles ont 13- 14-15 ans… Et au moment où c’est vraiment pas facile d’avoir cet âge de nos jours, tout simplement… Alors elles vivent une période de leur vie où juste… elles ressentent de la peur, ou même un peu de tristesse… Alors elles ne comprennent pas… Et parfois leur entourage et les docteurs eux-mêmes ne comprennent pas… Alors elles se disent : “chuis nulle, je devrais pas ressentir ça”... Et elles trouvent un petit moyen, souvent comme ça, par hasard un jour, ou parce qu’une copine leur a montré, de diminuer cette peur ou cette tristesse quand elle arrive… Alors elles se mettent à le faire, à le faire… Au début ça les soulage, mais plus elles le font, et plus elles se disent que c’est nul de faire ça… Et ça... de votre point de vue… ça a quel effet sur la peur ou la tristesse ?…
- Corinne : Ça ne fait que les amplifier…
- Th. : Tout a fait… Et si je comprends bien… et vous me corrigez si je me trompe… vous... pour qui jusque-là c’était à peu près acceptable, avec trois-quatre crises de panique par mois, vous avez peur... Et à juste titre, que votre situation de maintenant, et vous savez de quoi vous parlez, elle convoque de nouveau toutes ces peurs : abandon, mort, séparation, etc. Et que vous n’allez pas arrêter de vous mutiler si on ne vous aide pas à faire autrement ?…
- Corinne : Je sais pas comment le dire plus juste…
- Th. : Et s’il y avait un moyen de faire différemment ?… De faire autrement ?… Qu’avec la douleur... La douleur comme un “contrefeu”… la douleur comme un évitement ?… Ça vous dirait d’essayer ?… Vous seriez prête ?… Prête à avancer, vous aussi… Doucement, progressivement, sans que ça soit efficace à chaque fois au début, et à obtenir quelque chose de déjà plus digne, de plus satisfaisant ?…
- Corinne : Oui, je veux bien... Je crois que je suis prête maintenant…
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si on commence dès aujourd’hui ?
- Corinne : Non… On peut y aller… »
- Th. : « OK… Alors comme ça, juste pour commencer… Bien sûr on pourra vraisemblablement pas faire l’inventaire de tout et il y a sûrement des choses qu’on va oublier… Mais déjà en deux-trois points, est-ce que vous pouvez me parler là… maintenant… des choses qui vous terrorisent le plus…
- Corinne : Déjà, c’est la mort…
- Th. : La mort pour vous ou la mort des autres ?...
- Corinne : Je peux commencer par vous dire que j’ai très peur pour moi. Peur du néant, de la décomposition, de la pourriture, de ce qu’on devient après… Et aussi qu’est-ce qu’on a été avant… C’est vrai quoi… on sait qu’on va tous y passer, ça on le sait, on peut rien y faire… Et pourtant... Ça me hante quand j’y pense… Et quand ça vient… j’arrive pas à penser à autre chose…
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Dr Thierry PICCOLI Médecin omnipraticien depuis 1998, formé aux thérapies brèves et à l’hypnose (ARePTA, EDP, Gema...). Exerce à côté de Nancy en libéral ainsi qu’en institution. Intervient également dans des ateliers d’intervisions sur cas cliniques, au sein de son CMP, et dans un groupe de pairs nancéien.
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Le tout avec toujours beaucoup de bienveillance, comme aime à le souligner notre ami Yves Doutrelugne, grand expert de cette pratique. Nous avons tous en tête le jeune Erickson et son fameux « Veau » (que vous trouverez sans effort sur Internet, pour ceux qui souhaiteraient se rafraîchir la mémoire...), ainsi que bien d’autres analogies ou métaphores, que chaque formateur aime utiliser afin d’illustrer cette démarche. Démarche qui, si elle est effectivement implacable, n’en est cependant pas si simple à mettre en oeuvre, et nous en avons tous fait l’expérience, car s’il suffisait simplement de suivre et d’appliquer une « méthode » ou encore un « process », nous pourrions nous contenter de dire alors à ce patient, souffrant de troubles anxieux depuis des années : « Ecoutez-moi bien, mon cher Monsieur... il convient de stopper vos tentatives d’évitement, quelles qu’elles soient, et puis ensuite simplement de vous confronter à vos peurs... Et tout ira bien, le tour sera joué... Voilà tout... » CQFD. C’est facile...
On vient d’inventer « le fil à couper le beurre », comme le dirait mieux que moi Dominique Megglé. Dans l’exemple clinique dont je vais vous parler, la tâche thérapeutique des « 30 minutes du pire », bien connue, très largement documentée, et enseignée dans tous les bons instituts, repose surtout et avant tout sur un « Dialogue stratégique » qui va conditionner la disponibilité du patient à exécuter cette tâche... Comme vous le constaterez, cette « conversation en entonnoir » va bien au-delà d’une simple discussion, il s’agit d’une communication hypnotique sans transe formelle. Cette conversation provoque une activation cognitive qui induit une « Expérience émotionnelle correctrice ». Et c’est bien cette expérience « incarnée » (qui se passe avant tout dans le corps) qui va amener, ici, la patiente à accepter cette tâche thérapeutique comme étant la seule alternative possible à l’issue de l’entretien.
Comme nous l’a redit Giorgio Nardone, lors de sa venue à Nantes en septembre dernier : « Ne vous y trompez pas, cette conversation qui amène le patient à ressentir cette Expérience émotionnelle correctrice est une induction hypnotique. » Cet entretien, comme vous le constaterez, est ponctué de nombreuses pauses (« ... »), que vous pourrez également respecter en le lisant. Ces pauses, comme le disait Alain Vallée, sont parfois essentielles à la fluidité du discours et permettent bien souvent aux phrases de rentrer dans le corps... Tout en donnant au thérapeute le temps de réfléchir... La patiente s’appelle Corinne, elle a 66 ans, et je la rencontre pour la première fois.
- Thérapeute : « Qu’est-ce qui vous amène ?
- Corinne : Quand j’ai pris rendez-vous c’était pour une autre raison, mais maintenant je ne sais plus trop… Depuis quatre semaines, je suis rentrée de vacances et j’ai pris la décision de rompre d’avec mon compagnon. Il est plus âgé que moi de dix ans, ça fait sept ans qu’on est ensemble, et ça ne va plus depuis déjà trop longtemps… Et là j’ai pris la décision de me séparer, je lui ai dit qu’on devait faire une pause, mais je sais bien que c’est fini pour moi... Et je ne sais pas comment je vais m’en sortir.
- Th. : OK... Vous me dites que vous avez pris rendez-vous pour un problème, et que depuis, il y a eu quatre semaines… Et que depuis vous avez pris la décision de rompre… Et que depuis vous savez plus trop, ni surtout comment vous allez vous en sortir... C’est bien ça ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Et dans la situation de maintenant, pour vous, le problème… celui qui une fois réglé vous rapporterait le plus… sans pour autant oublier les autres… Pour vous, là, maintenant… ça serait quoi ?…
- Corinne : Je crois que c’est ça, cette rupture… Et en même temps que c’est en lien avec mes problèmes d’avant.
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si je vous demande “c’est quoi” vos problèmes d’avant ?
- Corinne : C’est ma peur de la mort, et aussi et surtout la peur d’être abandonnée.
- Th. : Et vous pouvez m’en dire un peu plus sur ce que c’est… chez vous… la peur de la mort, la peur de l’abandon... et peut-être d’autres peurs, que vous avez encore ?
- Corinne : Oh, oui. J’en ai plein d’autres vous savez… Je sais même pas si on aura assez de temps aujourd’hui pour que je vous parle de tout ça.
- Th. : Ah bon ? C’est autant que ça ? Vous savez moi j’ai appris à être très patient avec mon métier… Récemment j’ai soigné un patient qui était venu avec un carnet, dans lequel il avait répertorié 43 situations… Oui… 43 situations, toutes concrètes, toutes valides. Et vous savez… aujourd’hui il parvient de nouveau à sortir de chez lui progressivement… Et il recommence à faire face… petit à petit… sans forcément que ça marche à chaque fois… A tout un tas de situations auxquelles il n’imaginait pas, auparavant, être en mesure de se confronter de nouveau… Et ça semble déjà être beaucoup plus satisfaisant pour lui…
- Corinne : Oui, vous savez, ça fait depuis l’âge de 15 ans que je vis avec toutes ces peurs. La raison je la connais bien, et c’est pour ça que j’ai jamais consulté jusque-là. Mon père, ou plutôt celui que je croyais être mon père, ce n’était pas mon vrai père... Et je l’ai appris comme ça, là, à l’âge de 15 ans... Et alors vous savez, ça n’a pas été facile de vivre avec ça, je me suis ensuite mariée, j’ai eu des enfants, mais j’ai toujours eu plein de peurs qui se sont développées à partir de ce moment. Tout un tas de peurs que j’avais pas avant… Peur que mon mari me quitte, peur de mourir, peur de me retrouver seule... Celle-là je crois que c’est la pire… Peur pour mes enfants… Et alors plus tard, j’ai essayé de retrouver mon géniteur, et ça n’a pas bien fonctionné… Il m’a répondu, mais il m’a dit que je ne faisais partie de sa vie que “virtuellement”… Virtuellement… Vous vous rendez compte, alors que moi je suis bien réelle… Mes parents eux n’ont pas compris ma démarche, ils m’ont même trouvée idiote de faire ça… Et mon père d’adoption, celui que j’ai toujours appelé “papa”… lui… il m’en a même voulu…
- Th. : OK… Et vous me dites que d’avoir retrouvé votre géniteur et tout ça… Sur vos mécanismes de peur… ça n’a tout simplement pas fonctionné… C’est ça ?
- Corinne : Oui, c’est ça...
- Th. : Comme si parfois on cherchait dans le passé une solution au problème de maintenant. Et que ça ne marche pas ?
- Corinne : Oui, effectivement...
- Th. : Et vous avez raison… Ça ne marche pas… Et si vous me le permettez, je vous poserais même encore une autre question ?...
- Corinne : Oui, bien sûr. Allez-y...
- Th. : Et si… avoir retrouvé votre géniteur… et toutes les conséquences que ça a pu avoir sur vous, sur vos parents, etc... ça pouvait avoir eu un tout petit impact sur votre problème… sur vos peurs… Pour vous, cet impact… ça a été mieux ou ça a été pire ?…
- Corinne : Pire, bien sûr…
- Th. : Et pendant tout ce temps, pendant toutes ces années, quand toutes ces peurs revenaient, et je vous crois qu’il peut y en avoir eu beaucoup… Comment est-ce qu’elle faisait cette personne, pour en atténuer le signal ?
- Corinne : Ça va paraître idiot ce que je vais vous dire... mais je me suis toujours servi de la douleur…
- Th. : De la douleur ?
- Corinne : Oui… Un jour j’ai découvert que quand je me faisais mal… ça calmait ma peur… Un peu comme un “contre-feu”…
- Th. : Et je peux vous demander comment vous procédez ?
- Corinne : Oh, rien de bien compliqué… Je me cogne la tête… comme ça… en arrière… Pour que ça se voit pas trop… ça peut arriver quelquefois que je me fasse des marques, alors je le fais vers l‘arrière…
- Th. : OK… Alors ce que vous me dites… si je comprends bien, c’est que pendant toutes ces années, et pendant tout ce temps, le moyen que vous, vous avez mis stratégiquement en place, à chaque fois que vous faites… Ça vous va si on appelle ça des crises ?
- Corinne : Oui…
- Th. : Comme des “attaques de panique” peutêtre ?
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça.
- Th. : Alors, si je comprends bien, le moyen stratégique, chaque fois que vous faites ces crises, ces attaques de panique… Eh bien vous vous faites mal… Comme ça (avec la gestuelle), en vous cognant la tête en arrière ?
- Corinne : Oui, c‘est ça…
- Th. : Une fois ? Plusieurs fois ?
- Corinne : Très souvent plusieurs fois… Une bonne dizaine de fois au moins la plupart du temps…
- Th. : OK… Merci pour ces précisions… Et que ça… se cogner jusqu’à dix fois la tête en arrière… Eh bien ça casse la crise et qu’ensuite la plupart du temps vous reprenez le cours de votre journée ? Ou de votre nuit ?…
- Corinne : Oui, c’est ça… Sauf que ça n’a pas été tout le temps autant présent dans ma vie…
- Th. : OK… Et là avant de m’appeler, c’était comment ?
- Corinne : Vous savez, depuis que je suis avec Henry, c’est beaucoup moins, peut-être une fois par semaine, ou trois-quatre fois par mois…
- Th. : OK... Mais là vous avez peur que ça soit beaucoup plus…
- Corinne : Oh oui... Et ça… ça me terrorise…
- Th. : OK… Je comprends mieux maintenant en quoi c’est si important pour vous de venir me voir là… en ce moment… alors que vous avez pris la décision de rompre avec Henry… Et que ça vous fait craindre de nouveau de refaire encore plus de crises, et tout et tout…
- Corinne : Oui, c’est tout à fait ça… En plus j’ai déjà assez transmis ces angoisses à ma fille, et maintenant je m’occupe souvent des mes deux petits-fils, je ne voudrais pas leur montrer ce spectacle.
- Th. : Et vous avez bien raison évidemment… Et je ne sais pas pourquoi, mais tout ça… ça me fait penser, vous savez… à ces jeunes adolescentes qui mettent des sweat-shirts à manches longues en plein été, vous savez… Juste pour masquer leurs avant-bras… plein de traces comme ça (gestuelle de scarification...).
- Corinne : Oui... J’en ai entendu parler…
- Th. : Parfois c’est aussi juste comme ça (gestuelle de “claquage”), elles font des trucs avec des élastiques qu’elles se “claquent” tout le temps sur leurs poignets, ou même parfois elles vont jusqu’à se faire de plus grosses entailles avec des compas, ou des rasoirs... Elles ont 13- 14-15 ans… Et au moment où c’est vraiment pas facile d’avoir cet âge de nos jours, tout simplement… Alors elles vivent une période de leur vie où juste… elles ressentent de la peur, ou même un peu de tristesse… Alors elles ne comprennent pas… Et parfois leur entourage et les docteurs eux-mêmes ne comprennent pas… Alors elles se disent : “chuis nulle, je devrais pas ressentir ça”... Et elles trouvent un petit moyen, souvent comme ça, par hasard un jour, ou parce qu’une copine leur a montré, de diminuer cette peur ou cette tristesse quand elle arrive… Alors elles se mettent à le faire, à le faire… Au début ça les soulage, mais plus elles le font, et plus elles se disent que c’est nul de faire ça… Et ça... de votre point de vue… ça a quel effet sur la peur ou la tristesse ?…
- Corinne : Ça ne fait que les amplifier…
- Th. : Tout a fait… Et si je comprends bien… et vous me corrigez si je me trompe… vous... pour qui jusque-là c’était à peu près acceptable, avec trois-quatre crises de panique par mois, vous avez peur... Et à juste titre, que votre situation de maintenant, et vous savez de quoi vous parlez, elle convoque de nouveau toutes ces peurs : abandon, mort, séparation, etc. Et que vous n’allez pas arrêter de vous mutiler si on ne vous aide pas à faire autrement ?…
- Corinne : Je sais pas comment le dire plus juste…
- Th. : Et s’il y avait un moyen de faire différemment ?… De faire autrement ?… Qu’avec la douleur... La douleur comme un “contrefeu”… la douleur comme un évitement ?… Ça vous dirait d’essayer ?… Vous seriez prête ?… Prête à avancer, vous aussi… Doucement, progressivement, sans que ça soit efficace à chaque fois au début, et à obtenir quelque chose de déjà plus digne, de plus satisfaisant ?…
- Corinne : Oui, je veux bien... Je crois que je suis prête maintenant…
- Th. : OK… Et ça vous ennuie si on commence dès aujourd’hui ?
- Corinne : Non… On peut y aller… »
- Th. : « OK… Alors comme ça, juste pour commencer… Bien sûr on pourra vraisemblablement pas faire l’inventaire de tout et il y a sûrement des choses qu’on va oublier… Mais déjà en deux-trois points, est-ce que vous pouvez me parler là… maintenant… des choses qui vous terrorisent le plus…
- Corinne : Déjà, c’est la mort…
- Th. : La mort pour vous ou la mort des autres ?...
- Corinne : Je peux commencer par vous dire que j’ai très peur pour moi. Peur du néant, de la décomposition, de la pourriture, de ce qu’on devient après… Et aussi qu’est-ce qu’on a été avant… C’est vrai quoi… on sait qu’on va tous y passer, ça on le sait, on peut rien y faire… Et pourtant... Ça me hante quand j’y pense… Et quand ça vient… j’arrive pas à penser à autre chose…
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Dr Thierry PICCOLI Médecin omnipraticien depuis 1998, formé aux thérapies brèves et à l’hypnose (ARePTA, EDP, Gema...). Exerce à côté de Nancy en libéral ainsi qu’en institution. Intervient également dans des ateliers d’intervisions sur cas cliniques, au sein de son CMP, et dans un groupe de pairs nancéien.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Le Kotéba thérapeutique au Mali. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 76.
Une troupe de théâtre vient, sur la « Colline du savoir », à la rencontre d’un ou plusieurs patients hospitalisés, expliquent un psychiatre et un comédien engagés depuis des années dans une démarche thérapeutique singulière au Mali. Acteurs, chanteurs et musiciens se rassemblent autour de malades, accompagnés parfois de soignants, dans un lieu protégé, au sein de la section psychiatrique de l’hôpital de Bamako.
Dans une écoute qui est autre, usant avec douceur de chants et de proverbes, ils préparent une représentation qui sera jouée plus tard, à ciel ouvert, au centre de la structure hospitalière constituée en « village psychiatrique », sur une large place centrale bordée de différentes salles de consultation. Le kotéba thérapeutique, tel est le nom de cette approche, mettra en scène ainsi, au moyen de petites pièces chantées et jouées, de mimes, de saynètes comiques et burlesques, de déclamations parfois appuyées de proverbes connus ou encore de devinettes, les difficultés d’un patient telles qu’exprimées par celui-ci. Dans l’intimité du lieu, les malades racontent en effet parfois aux comédiens ce qu’ils ne disent pas aux médecins ou à leur famille, ou ce qu’il est impossible de dire dans la société.
Ainsi sont dévoilés problèmes relationnels, souffrances, possession, jalousie, abandon, malédiction ou mise à l’écart de la société... Les comédiens définissent alors les thèmes et les grandes lignes de ce qui sera joué sur la place centrale, sans décor et avec des accessoires rudimentaires. Rompus à cet exercice, ils utilisent, avec les médecins, les différentes étapes de ce théâtre pour entraîner le patient, sa famille et les soignants dans le jeu de scène. A l’appel du tambour annonçant l’imminence de la représentation, malades, personnels de soin, familles, visiteurs de l’hôpital approchent, certains se mettent à danser. Tous ceux qui le souhaitent assistent à ce jeu et peuvent y participer à leur guise. Les comédiens endossent certains rôles au sein de ce spectacle aux contours déterminés à l’avance qui laissent cependant la place à l’improvisation. Ces rôles sont récurrents et emblématiques : chef du village, resituant ainsi le patient dans un contexte défini, adjoint au chef du village, femme du chef de village et, selon les situations, mari volage, ivrogne, marabout, mère abandonnant ses enfants, sorcier, voleur... Le théâtre s’intéresse au présent.
Dans une situation au départ banale, les comédiens introduisent le problème apporté par le patient. Celui-ci participe à la scène, il joue, il danse, son corps est pris dans des relations presque oubliées par les gestes qui se déploient et par des contacts physiques inhérents au théâtre ; écouté, il occupe un autre rôle, se repositionne dans le tissu relationnel en jeu ; stimulé par les interactions qui se déploient, il trouve des solutions aux difficultés jouées grâce à ce qui est proposé dans la représentation, à quelques mimes ou proverbes énoncés. Il est encore porté par les réactions du public qui devient cothérapeute, au même titre que le sont les comédiens, les malades qui se joignent à la pièce spontanément, les équipes de soin ou les familles présentes. Et surtout on rit de ces saynètes au ressort comique, de ces farces parfois grotesques.
Cette approche, mise en place il y a une cinquantaine d’années dans l’hôpital, prend en charge les patients qui étaient délaissés, isolés dans leur pathologie. Elle est inspirée du théâtre traditionnel profane du même nom, le kotéba, joué il y a encore quelque temps dans les villages et dont l’origine se situe dans le Pays bambara. Ce théâtre, représenté au moins une fois par an, avait pour particularité, selon les spécialistes, de réguler les tensions et de renforcer la cohésion sociale au sein des communautés.
Pour lire la suite...
Dr Sylvie LE PELLETIER-BEAUFOND Médecin-psychothérapeute depuis 1991, hypnothérapeute, thérapeute systémique de famille et de couple, à Paris en libéral. Formatrice, elle reçoit des professionnels en supervision. Formée à l’Institut Milton Erickson de Paris et par Mony Elkaïm, sa pratique clinique s’inspire de la pensée de François Roustang. Membre de la Société française de Thérapie familiale. Anthropologue des religions et diplômée de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Dans une écoute qui est autre, usant avec douceur de chants et de proverbes, ils préparent une représentation qui sera jouée plus tard, à ciel ouvert, au centre de la structure hospitalière constituée en « village psychiatrique », sur une large place centrale bordée de différentes salles de consultation. Le kotéba thérapeutique, tel est le nom de cette approche, mettra en scène ainsi, au moyen de petites pièces chantées et jouées, de mimes, de saynètes comiques et burlesques, de déclamations parfois appuyées de proverbes connus ou encore de devinettes, les difficultés d’un patient telles qu’exprimées par celui-ci. Dans l’intimité du lieu, les malades racontent en effet parfois aux comédiens ce qu’ils ne disent pas aux médecins ou à leur famille, ou ce qu’il est impossible de dire dans la société.
Ainsi sont dévoilés problèmes relationnels, souffrances, possession, jalousie, abandon, malédiction ou mise à l’écart de la société... Les comédiens définissent alors les thèmes et les grandes lignes de ce qui sera joué sur la place centrale, sans décor et avec des accessoires rudimentaires. Rompus à cet exercice, ils utilisent, avec les médecins, les différentes étapes de ce théâtre pour entraîner le patient, sa famille et les soignants dans le jeu de scène. A l’appel du tambour annonçant l’imminence de la représentation, malades, personnels de soin, familles, visiteurs de l’hôpital approchent, certains se mettent à danser. Tous ceux qui le souhaitent assistent à ce jeu et peuvent y participer à leur guise. Les comédiens endossent certains rôles au sein de ce spectacle aux contours déterminés à l’avance qui laissent cependant la place à l’improvisation. Ces rôles sont récurrents et emblématiques : chef du village, resituant ainsi le patient dans un contexte défini, adjoint au chef du village, femme du chef de village et, selon les situations, mari volage, ivrogne, marabout, mère abandonnant ses enfants, sorcier, voleur... Le théâtre s’intéresse au présent.
Dans une situation au départ banale, les comédiens introduisent le problème apporté par le patient. Celui-ci participe à la scène, il joue, il danse, son corps est pris dans des relations presque oubliées par les gestes qui se déploient et par des contacts physiques inhérents au théâtre ; écouté, il occupe un autre rôle, se repositionne dans le tissu relationnel en jeu ; stimulé par les interactions qui se déploient, il trouve des solutions aux difficultés jouées grâce à ce qui est proposé dans la représentation, à quelques mimes ou proverbes énoncés. Il est encore porté par les réactions du public qui devient cothérapeute, au même titre que le sont les comédiens, les malades qui se joignent à la pièce spontanément, les équipes de soin ou les familles présentes. Et surtout on rit de ces saynètes au ressort comique, de ces farces parfois grotesques.
Cette approche, mise en place il y a une cinquantaine d’années dans l’hôpital, prend en charge les patients qui étaient délaissés, isolés dans leur pathologie. Elle est inspirée du théâtre traditionnel profane du même nom, le kotéba, joué il y a encore quelque temps dans les villages et dont l’origine se situe dans le Pays bambara. Ce théâtre, représenté au moins une fois par an, avait pour particularité, selon les spécialistes, de réguler les tensions et de renforcer la cohésion sociale au sein des communautés.
Pour lire la suite...
Dr Sylvie LE PELLETIER-BEAUFOND Médecin-psychothérapeute depuis 1991, hypnothérapeute, thérapeute systémique de famille et de couple, à Paris en libéral. Formatrice, elle reçoit des professionnels en supervision. Formée à l’Institut Milton Erickson de Paris et par Mony Elkaïm, sa pratique clinique s’inspire de la pensée de François Roustang. Membre de la Société française de Thérapie familiale. Anthropologue des religions et diplômée de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
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Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Hypnose et thérapie systémique en soins palliatifs.
Une voie prometteuse pour améliorer la qualité de vie. Drs Serge SIRVAIN et Guillaume BELOURIEZ pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 76.
L’hypnose, dans sa fonction soignante, apporte une approche relationnelle de qualité aux personnes atteintes de maladies graves relevant des soins palliatifs. Associée à la thérapie systémique, elle permet un accompagnement à l’effet bienfaisant pour les malades, leur entourage et les soignants. « La victoire que nous chercherons à remporter sur la douleur sera en fait celle du malade. Rencontrer des personnes qui se cherchent un chemin au travers d’une telle adversité, avec le courage et le bon sens dont elles font si souvent preuve, est un honneur autant qu’un enseignement. Nous ne pouvons le voir qu’en nous approchant d’elles, et nous nous sommes souvent aperçu que le chemin le plus sûr est d’acquérir l’art de soulager la souffrance physique. Si nos malades nous accordent le privilège de partager avec eux leur angoisse intérieure, nous n’en resterons pas là. Même si nous ne sommes guère capables de supprimer celle-ci, nous pouvons tout au moins rester auprès d’eux. » Cicely Saunders et Mary Baines, 1983, p. X-XI.
INTRODUCTION
Nés à Londres sous l’impulsion de Cicely Saunders, les soins palliatifs ont intégré le malade dans sa totalité organique et psychique. Il est certes seul à mourir ; il n’est pourtant jamais appréhendé comme un être isolé, mais bien comme le membre d’une communauté, perçu comme au centre d’un système de relations. Cet article explore comment l’intégration de l’hypnose, en complémentarité avec une approche systémique, peut enrichir et diversifier la pratique des soins palliatifs. « Lorsqu’il n’y a plus rien à faire », il y a encore quelque chose à faire ; lorsqu’il n’est plus possible de « traiter » (cure), il est encore possible de soigner (care) (1) et d’accompagner au plus près des besoins celui qui vit une crise et d’accompagner aussi son entourage.
Les soins palliatifs sont définis par l’ANAES (2002) comme « l’accompagnement concernant les personnes de tous âges atteintes d’une maladie grave, évolutive mettant en jeu le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. Les soins prodigués visent à améliorer le confort et la qualité de vie et à soulager les symptômes : ce sont tous les traitements et soins, l’accompagnement physique, psychologique, spirituel et social envers des personnes et leur entourage. » Loin de se limiter à la fin de vie, les soins palliatifs peuvent débuter dès le diagnostic d’une pathologie à pronostic vital engagé, divers essais cliniques confirmant que les soins palliatifs précoces apportent un bénéfice sur la qualité de vie et la réduction des symptômes (2) (3). Cet abord du soin est d’emblée pluridisciplinaire et centré sur l’accompagnement sans cesse réactualisé de la personne dans son contexte matériel, médical et relationnel.
L’entrée dans l’accompagnement palliatif fait souvent événement dans le récit des patients et des familles, et s’inscrit dans une continuité marquante de moments plus ou moins difficiles dans le parcours de soins et l’histoire de la famille. L’approche relationnelle de qualité que l’hypnose apporte dans un système en crise permet au processus dans lequel le patient s’engage de se dérouler, à sa manière, de manière fluide et sécurisante.
HYPNOSE ET SOINS PALLIATIFS : UNE RESSOURCE SUPPLÉMENTAIRE POUR L’ACCOMPAGNEMENT
L’hypnose, en tant que processus non ordinaire de la conscience, comprend un aspect relationnel et un aspect technique. La relation prime. La pratique de l’hypnose est en ce sens inscrite pleinement dans la fonction soignante et nécessite une formation adaptée tant sur le plan technique que sur les aspects de posture relationnelle et éthique.
L’hypnose clinique et thérapeutique est une approche globale de prise en charge qui permet non seulement de soulager divers symptômes, mais également de créer une relation d’aide particulièrement adaptée au domaine des soins. Comme le décrit Antoine Bioy, les deux dimensions trouvent un écho tout particulier en soins palliatifs, où la gestion optimale des symptômes physiques se conjugue à un besoin essentiel d’accompagnement humain. L’hypnose permet au patient de se reconnecter à son corps et à sa vie grâce à un travail centré sur les perceptions, offrant ainsi une voie précieuse pour améliorer la qualité de vie. Cette méthode présente de nombreux avantages dans les structures dédiées aux soins palliatifs, quels que soient le stade et l’évolution de la maladie (4).
HYPNOSE ET THÉRAPIE SYSTÉMIQUE : UNE APPROCHE COMPLÉMENTAIRE
Sur le plan épistémologique, l’hypnose ericksonienne et les thérapies dites systémiques se rejoignent. Elles sont d’ailleurs très intégratives et processuelles, amenant à privilégier toujours la relation et le processus en cours, sur le contenu. Dans un cadre palliatif, la souffrance du patient ne se limite pas à des symptômes physiques, mais englobe souvent des problématiques émotionnelles, sociales, spirituelles et relationnelles. L’annonce d’une phase palliative ou d’une maladie grave constitue toujours une effraction psychique, individuelle et collective, un véritable traumatisme systémique, une crise. Cette période bouleverse l’ensemble du système du patient ainsi que son entourage (conjoint, enfants, fratrie et liens intergénérationnels). On y retrouve de la sidération, de la dissociation, une perte de repères, un récit de vie fragmenté, mais aussi une réorganisation des liens et des relations pouvant bien souvent amener une remise en sens et préparer le processus de séparation à venir.
C’est ici qu’intervient la thérapie systémique, qui considère le patient dans son environnement, s’intéressant aux interactions avec son entourage et avec les soignants. L’intervention systémique se concentre sur les relations, avec le corps, avec les autres, avec le monde, et donc avec son système de valeurs, avec la vie. Plusieurs approches systémiques coexistent et permettent aux thérapeutes de poser des hypothèses sur le fonctionnement du système relationnel. Celui-ci est organisé d’une certaine manière, avec des règles, où chacun a son rôle, sa fonction, une hiérarchie, etc. L’approche systémique posant cette hypothèse est la thérapie systémique structurale (5). Le système fonctionne d’une certaine manière, et s’organise pour rester en équilibre, chacun à une fonction, y compris « le symptôme », c’est l’hypothèse qui découlera de l’approche systémique fonctionnelle (6). L’hypothèse portée par l’approche systémique existentielle (7) s’intéresse au cycle de vie et à la manière dont le système évolue et vit, par exemple, cette étape au moment de la séparation. Enfin, le système a une histoire qui découle des relations et va transmettre des informations, c’est l’approche systémique contextuelle ou transgénérationnelle (8). Les hypothèses permettront d’orienter vers une intervention systémique afin d’amener du changement.
Ces différents niveaux de lecture, points de vue sur le système et les processus relationnels à l’oeuvre, offrent une image en multiples dimensions, permettant de tenter de toucher du doigt la grande complexité dans laquelle s’inscrit la réalité vécue du patient et de son entourage, avec comme visée et comme intention de leur permettre, comme en hypnose, de se reconnecter aux ressources individuelles et du système, pour une remise en mouvement, dans le processus du vivant. L’approche intégrative consistera ici à s’attacher en temps réel au processus relationnel, faisant circuler en permanence les informations du thérapeute au système, c’est-à-dire au patient, en lien avec son corps, aux autres et à l’univers dans lequel il évolue. Redonner au système de l’information le rend acteur, et crée de la différence, moteur de changement, et aussi de prise de position, de choix et de responsabilité. Redonner de l’information passe également par l’hypnose qui s’attache de manière fine à l’observation du langage verbal, non verbal, paraverbal, ainsi qu’à celle du corps et de la vie affective. Une information comme « depuis que vous me parlez, j’observe votre corps figé en haut, et chez moi, il y a de la tristesse ». Tout est utilisé, selon cette notion fondamentale ericksonienne, pour servir le processus à l’oeuvre, facilitant ainsi l’induction, la synchronisation, et l’approfondissement de la transe hypnotique.
Tout en redynamisant le système relationnel, on ancre corporellement et sensiblement le patient dans l’expérientiel. Tout comme on ne poserait pas brutalement une question miracle sans langage hypnotique pour induire le changement et la projection dans le futur, on ne pratiquera pas le questionnement circulaire systémique sans observer les réponses corporelles du patient, de son entourage ou même du thérapeute ! Le thérapeute s’utilise et fait partie intégrante du système relationnel qui s’est construit (9). L’immersion dans cette nouvelle réalité coconstruite, dans un nouveau monde des représentations et des croyances, va lui permettre, dans un processus également de transe, d’accompagner au plus près le changement. Les principes scientifiques de l’hypnose en soins palliatifs peuvent s’articuler autour de cinq principes fondamentaux décrit par Landry (10).
- L’équifinalité qui suggère que des stratégies cognitives distinctes peuvent permettre à des individus d’obtenir des réponses hypnotiques similaires.
- La préparation de l’adhésion hypnotique en créant un cadre hypnotique qui maximise les résultats thérapeutiques, ainsi que l’utilisation de l’imagerie mentale par la chosification, permet de générer des représentations mentales endogènes partageant des caractéristiques essentielles avec les expériences perceptuelles, notamment en soins palliatifs.
- L’imagerie mentale
Pour lire la suite...
Dr Serge Sirvain Gériatre, praticien hospitalier, chef de service du Court séjour gériatrique (CSGA Centre hospitalier d’Alès-Cévennes). DIU Hypnose médicale de Montpellier, formateur et conférencier en hypnose et résilience. Rédacteur en chef de la revue Repères en gériatrie et membre de la CUMP 30 (Cellule d’urgence médico-psychologique). Médecin pompier volontaire SDIS 30. sirvain.serge@gmail.com
Dr Guillaume Belouriez Psychiatre psychothérapeute ayant une activité mixte tournée autour de la relation, du soin, et très investi dans la formation. Responsable du service de gérontopsychiatrie, de la consultation en psychothérapie intégrative à Brumath, et avec une activité de liaison en soins palliatifs au CHRU de Strasbourg (EMASP, USP). Responsable du DU de Psychothérapie intégrative à l’université de Strasbourg. Formateur dans l’école de soins palliatifs à la Maison médicale Jeanne-Garnier à Paris.
BIBLIOGRAPHIE 1. Lamau M.-L., « Origine et inspiration. Cicely Saunders à la naissance des soins palliatifs », « Revue d’Ethique et de théologie morale », 2014/5, n° 282, pp. 55-81.
2. Temel J.S., Greer J.A., Muzikansky A., Gallagher E.R., Admane S., et al., « Early palliative care for patients with metastatic non-small-cell lung cancer », N. Engl. J. Med., 2010, Aug. 19, 363 (8), pp. 733-742.
3. Bouleuc C., Burnod A., Angellier E., Massiani M.-A., Robin M.-L., et al., « Les soins palliatifs précoces et intégrés en oncologie », « Bulletin du Cancer », 2019, 106, pp.796-804.
4. Bioy A., Wood C., « Quelle pratique de l’hypnose pour les soins palliatifs ? », Med. Pal., 2006,
5, pp. 328-332. 5. Minuchin S. (1974), « Families and family therapy », Cambridge, MA : Harvard University Press ; trad. fr. Du Ranquet M. et Wajeman M., « Familles en thérapie », Paris, Delarge, 1998.
6. Haley J., « Stratégies de la psychothérapie », Erès, Paris, 1993.
7. Satir V., « Pour retrouver l’harmonie familiale », Editions J.-P. Delarge, Paris, 1972.
8. Boszormenyi-Nagy I., Spark G. « Invisible loyalties : reciprocity in intergenerational family therapy », New York, Harper & Row, 1973 ; Boszormenyi-Nagy I., Framo J., « Psychothérapies familiales intensives », PUF, Paris, 1980.
9. Belouriez G., « L’engagement relationnel, quel risque pour les soignants ? », « Ethique et santé », vol. 21, n° 1, mars 2024, pp. 62-67.
10. Landry M., Stendel M., Landry M., Raz A., « Hypnosis in palliative care: from clinical insights to the science of self-regulation », Ann. Palliat. Med., 2018, Jan. 7 (1), pp. 125-135.
11. Gessiaume S., « Hypnose et lâcher-prise en soins palliatifs : A propos d’une situation clinique », Infokara, 2009, 24, pp. 165-167.
12. Bowen M., « Family Therapy in Clinical Practice », New York, Jason Aronson ; trad. fr. partielle, « La différenciation du soi, les triangles et les systèmes émotifs familiaux », Paris, ESF, 1984 (1978). 13. Belouriez G., « Un atelier pour les familles, nouvelles perspectives pour l’accompagnement », Intervention Congrès SFAP, Lille, juin 2013.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
INTRODUCTION
Nés à Londres sous l’impulsion de Cicely Saunders, les soins palliatifs ont intégré le malade dans sa totalité organique et psychique. Il est certes seul à mourir ; il n’est pourtant jamais appréhendé comme un être isolé, mais bien comme le membre d’une communauté, perçu comme au centre d’un système de relations. Cet article explore comment l’intégration de l’hypnose, en complémentarité avec une approche systémique, peut enrichir et diversifier la pratique des soins palliatifs. « Lorsqu’il n’y a plus rien à faire », il y a encore quelque chose à faire ; lorsqu’il n’est plus possible de « traiter » (cure), il est encore possible de soigner (care) (1) et d’accompagner au plus près des besoins celui qui vit une crise et d’accompagner aussi son entourage.
Les soins palliatifs sont définis par l’ANAES (2002) comme « l’accompagnement concernant les personnes de tous âges atteintes d’une maladie grave, évolutive mettant en jeu le pronostic vital, en phase avancée ou terminale. Les soins prodigués visent à améliorer le confort et la qualité de vie et à soulager les symptômes : ce sont tous les traitements et soins, l’accompagnement physique, psychologique, spirituel et social envers des personnes et leur entourage. » Loin de se limiter à la fin de vie, les soins palliatifs peuvent débuter dès le diagnostic d’une pathologie à pronostic vital engagé, divers essais cliniques confirmant que les soins palliatifs précoces apportent un bénéfice sur la qualité de vie et la réduction des symptômes (2) (3). Cet abord du soin est d’emblée pluridisciplinaire et centré sur l’accompagnement sans cesse réactualisé de la personne dans son contexte matériel, médical et relationnel.
L’entrée dans l’accompagnement palliatif fait souvent événement dans le récit des patients et des familles, et s’inscrit dans une continuité marquante de moments plus ou moins difficiles dans le parcours de soins et l’histoire de la famille. L’approche relationnelle de qualité que l’hypnose apporte dans un système en crise permet au processus dans lequel le patient s’engage de se dérouler, à sa manière, de manière fluide et sécurisante.
HYPNOSE ET SOINS PALLIATIFS : UNE RESSOURCE SUPPLÉMENTAIRE POUR L’ACCOMPAGNEMENT
L’hypnose, en tant que processus non ordinaire de la conscience, comprend un aspect relationnel et un aspect technique. La relation prime. La pratique de l’hypnose est en ce sens inscrite pleinement dans la fonction soignante et nécessite une formation adaptée tant sur le plan technique que sur les aspects de posture relationnelle et éthique.
L’hypnose clinique et thérapeutique est une approche globale de prise en charge qui permet non seulement de soulager divers symptômes, mais également de créer une relation d’aide particulièrement adaptée au domaine des soins. Comme le décrit Antoine Bioy, les deux dimensions trouvent un écho tout particulier en soins palliatifs, où la gestion optimale des symptômes physiques se conjugue à un besoin essentiel d’accompagnement humain. L’hypnose permet au patient de se reconnecter à son corps et à sa vie grâce à un travail centré sur les perceptions, offrant ainsi une voie précieuse pour améliorer la qualité de vie. Cette méthode présente de nombreux avantages dans les structures dédiées aux soins palliatifs, quels que soient le stade et l’évolution de la maladie (4).
HYPNOSE ET THÉRAPIE SYSTÉMIQUE : UNE APPROCHE COMPLÉMENTAIRE
Sur le plan épistémologique, l’hypnose ericksonienne et les thérapies dites systémiques se rejoignent. Elles sont d’ailleurs très intégratives et processuelles, amenant à privilégier toujours la relation et le processus en cours, sur le contenu. Dans un cadre palliatif, la souffrance du patient ne se limite pas à des symptômes physiques, mais englobe souvent des problématiques émotionnelles, sociales, spirituelles et relationnelles. L’annonce d’une phase palliative ou d’une maladie grave constitue toujours une effraction psychique, individuelle et collective, un véritable traumatisme systémique, une crise. Cette période bouleverse l’ensemble du système du patient ainsi que son entourage (conjoint, enfants, fratrie et liens intergénérationnels). On y retrouve de la sidération, de la dissociation, une perte de repères, un récit de vie fragmenté, mais aussi une réorganisation des liens et des relations pouvant bien souvent amener une remise en sens et préparer le processus de séparation à venir.
C’est ici qu’intervient la thérapie systémique, qui considère le patient dans son environnement, s’intéressant aux interactions avec son entourage et avec les soignants. L’intervention systémique se concentre sur les relations, avec le corps, avec les autres, avec le monde, et donc avec son système de valeurs, avec la vie. Plusieurs approches systémiques coexistent et permettent aux thérapeutes de poser des hypothèses sur le fonctionnement du système relationnel. Celui-ci est organisé d’une certaine manière, avec des règles, où chacun a son rôle, sa fonction, une hiérarchie, etc. L’approche systémique posant cette hypothèse est la thérapie systémique structurale (5). Le système fonctionne d’une certaine manière, et s’organise pour rester en équilibre, chacun à une fonction, y compris « le symptôme », c’est l’hypothèse qui découlera de l’approche systémique fonctionnelle (6). L’hypothèse portée par l’approche systémique existentielle (7) s’intéresse au cycle de vie et à la manière dont le système évolue et vit, par exemple, cette étape au moment de la séparation. Enfin, le système a une histoire qui découle des relations et va transmettre des informations, c’est l’approche systémique contextuelle ou transgénérationnelle (8). Les hypothèses permettront d’orienter vers une intervention systémique afin d’amener du changement.
Ces différents niveaux de lecture, points de vue sur le système et les processus relationnels à l’oeuvre, offrent une image en multiples dimensions, permettant de tenter de toucher du doigt la grande complexité dans laquelle s’inscrit la réalité vécue du patient et de son entourage, avec comme visée et comme intention de leur permettre, comme en hypnose, de se reconnecter aux ressources individuelles et du système, pour une remise en mouvement, dans le processus du vivant. L’approche intégrative consistera ici à s’attacher en temps réel au processus relationnel, faisant circuler en permanence les informations du thérapeute au système, c’est-à-dire au patient, en lien avec son corps, aux autres et à l’univers dans lequel il évolue. Redonner au système de l’information le rend acteur, et crée de la différence, moteur de changement, et aussi de prise de position, de choix et de responsabilité. Redonner de l’information passe également par l’hypnose qui s’attache de manière fine à l’observation du langage verbal, non verbal, paraverbal, ainsi qu’à celle du corps et de la vie affective. Une information comme « depuis que vous me parlez, j’observe votre corps figé en haut, et chez moi, il y a de la tristesse ». Tout est utilisé, selon cette notion fondamentale ericksonienne, pour servir le processus à l’oeuvre, facilitant ainsi l’induction, la synchronisation, et l’approfondissement de la transe hypnotique.
Tout en redynamisant le système relationnel, on ancre corporellement et sensiblement le patient dans l’expérientiel. Tout comme on ne poserait pas brutalement une question miracle sans langage hypnotique pour induire le changement et la projection dans le futur, on ne pratiquera pas le questionnement circulaire systémique sans observer les réponses corporelles du patient, de son entourage ou même du thérapeute ! Le thérapeute s’utilise et fait partie intégrante du système relationnel qui s’est construit (9). L’immersion dans cette nouvelle réalité coconstruite, dans un nouveau monde des représentations et des croyances, va lui permettre, dans un processus également de transe, d’accompagner au plus près le changement. Les principes scientifiques de l’hypnose en soins palliatifs peuvent s’articuler autour de cinq principes fondamentaux décrit par Landry (10).
- L’équifinalité qui suggère que des stratégies cognitives distinctes peuvent permettre à des individus d’obtenir des réponses hypnotiques similaires.
- La préparation de l’adhésion hypnotique en créant un cadre hypnotique qui maximise les résultats thérapeutiques, ainsi que l’utilisation de l’imagerie mentale par la chosification, permet de générer des représentations mentales endogènes partageant des caractéristiques essentielles avec les expériences perceptuelles, notamment en soins palliatifs.
- L’imagerie mentale
Pour lire la suite...
Dr Serge Sirvain Gériatre, praticien hospitalier, chef de service du Court séjour gériatrique (CSGA Centre hospitalier d’Alès-Cévennes). DIU Hypnose médicale de Montpellier, formateur et conférencier en hypnose et résilience. Rédacteur en chef de la revue Repères en gériatrie et membre de la CUMP 30 (Cellule d’urgence médico-psychologique). Médecin pompier volontaire SDIS 30. sirvain.serge@gmail.com
Dr Guillaume Belouriez Psychiatre psychothérapeute ayant une activité mixte tournée autour de la relation, du soin, et très investi dans la formation. Responsable du service de gérontopsychiatrie, de la consultation en psychothérapie intégrative à Brumath, et avec une activité de liaison en soins palliatifs au CHRU de Strasbourg (EMASP, USP). Responsable du DU de Psychothérapie intégrative à l’université de Strasbourg. Formateur dans l’école de soins palliatifs à la Maison médicale Jeanne-Garnier à Paris.
BIBLIOGRAPHIE 1. Lamau M.-L., « Origine et inspiration. Cicely Saunders à la naissance des soins palliatifs », « Revue d’Ethique et de théologie morale », 2014/5, n° 282, pp. 55-81.
2. Temel J.S., Greer J.A., Muzikansky A., Gallagher E.R., Admane S., et al., « Early palliative care for patients with metastatic non-small-cell lung cancer », N. Engl. J. Med., 2010, Aug. 19, 363 (8), pp. 733-742.
3. Bouleuc C., Burnod A., Angellier E., Massiani M.-A., Robin M.-L., et al., « Les soins palliatifs précoces et intégrés en oncologie », « Bulletin du Cancer », 2019, 106, pp.796-804.
4. Bioy A., Wood C., « Quelle pratique de l’hypnose pour les soins palliatifs ? », Med. Pal., 2006,
5, pp. 328-332. 5. Minuchin S. (1974), « Families and family therapy », Cambridge, MA : Harvard University Press ; trad. fr. Du Ranquet M. et Wajeman M., « Familles en thérapie », Paris, Delarge, 1998.
6. Haley J., « Stratégies de la psychothérapie », Erès, Paris, 1993.
7. Satir V., « Pour retrouver l’harmonie familiale », Editions J.-P. Delarge, Paris, 1972.
8. Boszormenyi-Nagy I., Spark G. « Invisible loyalties : reciprocity in intergenerational family therapy », New York, Harper & Row, 1973 ; Boszormenyi-Nagy I., Framo J., « Psychothérapies familiales intensives », PUF, Paris, 1980.
9. Belouriez G., « L’engagement relationnel, quel risque pour les soignants ? », « Ethique et santé », vol. 21, n° 1, mars 2024, pp. 62-67.
10. Landry M., Stendel M., Landry M., Raz A., « Hypnosis in palliative care: from clinical insights to the science of self-regulation », Ann. Palliat. Med., 2018, Jan. 7 (1), pp. 125-135.
11. Gessiaume S., « Hypnose et lâcher-prise en soins palliatifs : A propos d’une situation clinique », Infokara, 2009, 24, pp. 165-167.
12. Bowen M., « Family Therapy in Clinical Practice », New York, Jason Aronson ; trad. fr. partielle, « La différenciation du soi, les triangles et les systèmes émotifs familiaux », Paris, ESF, 1984 (1978). 13. Belouriez G., « Un atelier pour les familles, nouvelles perspectives pour l’accompagnement », Intervention Congrès SFAP, Lille, juin 2013.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Catégories: Hypnose Paris,EMDR,Thérapie Brève Paris
Le temps passe, se fige et s'ouvre dans le mouvement de la vie.
Editorial Dr Julien BETBEZE pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 76.
Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles :
Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécispécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel. Bonne lecture, très belle année 2025 à chacun, et rendez-vous le 23 mars 2025 pour le colloque « Psychosomatique et douleur chronique ».
Dr Juilen BETBEZE Rédacteur en chef de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Pédopsychiatre et psychiatre adultes, Chargé de cours à la Faculté de médecine de Nantes et au sein des Instituts de la CFHTB. Formateur en hypnose, thérapies stratégiques, solutionnistes et narratives à l’ARePTA-IMHENA. Coauteur de nombreux ouvrages et publications.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles :
- celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée.
- Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose.
- Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécispécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel. Bonne lecture, très belle année 2025 à chacun, et rendez-vous le 23 mars 2025 pour le colloque « Psychosomatique et douleur chronique ».
Dr Juilen BETBEZE Rédacteur en chef de la revue « Hypnose & Thérapies brèves ». Pédopsychiatre et psychiatre adultes, Chargé de cours à la Faculté de médecine de Nantes et au sein des Instituts de la CFHTB. Formateur en hypnose, thérapies stratégiques, solutionnistes et narratives à l’ARePTA-IMHENA. Coauteur de nombreux ouvrages et publications.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°76 version Papier N°76 : Fév. / Mars / Avril 2025
Effet placebo, dialogue stratégique.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°76 :
. Dominique Megglé est parti quelques jours en mission avec MacGyver pour trouver le secret de la thérapie réussie. Cet article concerne tous les bricoleurs avisés, adeptes du couteau suisse de la relation humaine. Dominique est revenu de sa mission avec une grande découverte : le placebo. Comment faire pour retrouver cette piste ? Il nous suggère d’accepter d’être « démuni, pauvre, à sec, sans idée », pour pouvoir bricoler « comme un cheval adroit ou un chien de chasse rusé ». La technique pour la technique, voilà le piège.
. Thierry Piccoli nous décrit l’importance du dialogue stratégique pour rejoindre l’autre dans son monde de peur et préparer l’engagement dans la tâche thérapeutique afin de bloquer les tentatives de solution. A travers la situation de Corinne, prisonnière d’attaques de panique, il nous montre avec précision comment ce dialogue recadre la situation en permettant une expérience émotionnelle correctrice.
. Nous faire découvrir Milton Erickson comme un patient est le challenge que nous offre Blandine Rossi-Bouchet. Cet article original nous amène à percevoir Milton Erickson du côté de ses symptômes (séquelles de dyslexie, aphasie, dysarthrie, douleurs récurrentes), et à découvrir comment ces épreuves l’ont conduit à développer sa créativité et sa résilience.
. Vous lirez dans l’« Espace Douleur Douceur » l’introduction de Gérard Ostermann qui nous présente trois articles : celui de Marc Galy nous montre, avec la situation d’une jeune femme présentant un cancer du sein, comment remettre en mouvement les processus d’anticipation à partir de la présence partagée. Rachel Rey aborde l’intérêt de l’hypnose en préopératoire chez les enfants atteints de scoliose. Maud-Roxane Delatte nous offre une belle expérience concernant l’hypnose et la rééducation de la main en post-opératoire.
. Le dossier thématique est centré sur la gériatrie. Sophie Richet-Jacob nous présente trois cas cliniques concernant le traitement du trauma chez le sujet âgé : deux sont en lien avec la guerre, le troisième cas est en lien avec des violences conjugales et tentative d’assassinat. Elle évoque la méthode de l’Haptic Gamma Embodiement (HGE) pour préparer le travail sur les mouvements alternatifs et les changements de scénarios, avec utilisation éventuelle de Playmobils.
. Marie Floccia et Geneviève Perennou nous montrent l’importance de l’hypnose pour accompagner les personnes atteintes de troubles neurocognitifs et leurs aidants. Elles illustrent leur propos avec le cas de Madame Jeanne, 84 ans. Cet article montre les spécificités de la transe chez les personnes âgées et l’importance de retrouver l’estime de soi à travers des expériences de fierté.
. Serge Sirvain et Guillaume Belouriez utilisent l’hypnose dans une lecture systémique pour améliorer la qualité de vie des patients en soins palliatifs. Avec deux situations cliniques, les auteurs illustrent l’intérêt de ce lien épistémologique pour pouvoir répondre de manière éthique à ces situations complexes.
Les rubriques :
Enfin, vous retrouvrerez vos rubriques préférées de Stefano Colombo et Muhuc sur le temps qui passe, de Sophie Cohen sur la peur de tomber dans l’abîme, d’Adrian Chaboche sur le mouvement pour retrouver la vie, et de Sylvie Le Pelletier-Beaufond qui nous emmène au Mali pour découvrir le kotéba, thérapie inspirée du théâtre traditionnel.
Livres en bouche
Illustrations de Caroline Berthet
Catégories: Hypnose Paris,EMDR,Thérapie Brève Paris
Trouble du sommeil. Le coffre-fort à triple sécurité. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
Si beaucoup recherchent le calme et le silence, cette patiente les redoute car ils ne permettent pas de faire taire ses « pensées ». La solution passe par l’hypnose où surgit l’idée d’une boîte fermée à clé et enterrée... Delphine Le Gris pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
CONTEXTE
Sophie est une patiente que je suis depuis plus d’un an. Son histoire de vie est ponctuée de relations insécurisantes : de ses premiers liens à sa mère puis dans deux relations de couple. La première relation avec un homme plus âgé lui a permis de quitter le domicile familial à l’âge de 18 ans. Elle aura quatre en- fants avec cet homme. Sa dernière relation dont elle aura initié la séparation au cours de sa psychothérapie ne lui aura pas non plus laissé de place suffisante en tant que sujet propre et désirant. La psychothérapie initiée ensemble a donc pour objectif de développer ce processus de subjectivation. Lors de notre dernière séance, Sophie verba- lise une fois de plus sa sensation de se sentir débordée, mais à la différence que cette fois- ci elle s’est autorisée à lancer les démarches pour bénéficier d’une VAE (validation des acquis d’expérience professionnelle).
Dans son quotidien professionnel et personnel, elle repère le même mécanisme persistant : se donner beaucoup de tâches à faire pour ne pas penser, cela s’étant majoré depuis qu’elle vit seule, depuis sa séparation. Sophie évoque spontanément son désir de trouver une solution à son problème de sommeil. Ce n’est pas le temps nécessaire à son endormisse- ment qui lui pose problème mais la qualité de celui-ci. « Je ne peux pas m’endormir sans bruit et cela abîme mon sommeil car cela me réveille un peu plus tard dans la nuit. » Elle se questionne sur l’origine de son comporte- ment qui a toujours été là, même lorsqu’elle était en couple. Elle veut creuser le sujet. Cela ne semble pas s’expliquer par un sentiment de solitude difficilement tolérable. Par l’interro- gatoire elle perçoit que s’endormir avec une voix permet de court-circuiter ses pensées. Mais lesquelles ? Il ne s’agit pas des restes diurnes mais « des pensées qui sont angoissantes passées ou présentes », celles qu’elle ne peut pas régler de son histoire.
Son désir de creuser les choses m’a alors donné l’idée de creuser un trou dans lequel elle pourrait mettre un coffre-fort qui contiendrait tout ce qui l’empêche de s’endormir dans le calme et le silence. Je lui propose l’idée, elle accepte mais non sans témoigner de son angoisse à devoir laisser venir ces choses pour les mettre dans la boîte et donc le risque de se retrouver face à elles. Venant de quitter une journée de perfectionnement où nous avons approfondi l’induction d’Elman, je trouve alors tout à fait pertinent de lui proposer. L’approfondissement de la trace et la confusion sont nécessaires pour la laisser faire ce qu’elle a à faire dans les conditions les plus sécurisantes possibles. Cet exercice du coffre- fort présente « trois sécurités » : le coffre-fort fermé à clé et enterré dans un lieu, l’enterre- ment de la clé dans un autre lieu, et la volonté de la patiente comme deuxième clé.
PROTOCOLE
-Thérapeute (pré-talk) : « Tout à l’heure, mais pas tout de suite, vous irez dans le lieu de votre choix, que vous connaissez ou bien un lieu imaginaire. Vous y verrez la boîte dans laquelle vous viendrez déposer toutes les pensées... émotions... souvenirs... symboles... mots... ou tout autre chose qui vous empêche de vous endormir sereinement. Vous verrez aussi tous les outils qui vous sont nécessaires pour creuser, que ce soit une pelle, une pioche ou bien un bulldozer, ou autre. Vous vous en approcherez, vous mettrez dans la boîte tout ce que vous avez à y mettre, sans chercher à les élaborer, sans vous attarder dessus, sans cher- cher une logique entre elles... Tout à l’heure je viendrai soulever votre bras comme ceci (je lui montre) pour vérifier son tonus. Est-ce que vous m’autorisez à vous toucher ?
- Sophie : Oui.
- Th. : Vous préférez rentrer en hypnose les yeux ouverts ou les yeux fermés ?
- Sophie : Yeux fermés.
- Th. : OK, très bien. Allez-y... Pendant que les paupières sont fermées, pendant quelques instants, une part de vous prend le temps d’observer les bruits autour vous... propres à cette pièce... ou bien extérieurs à cette pièce... Voilà... Et puis sur une grande inspiration, vous ressentez la façon dont votre corps est positionné dans ce fauteuil... confortablement, profondément bien installé. Imaginez que sur les paupières, il y a quelque chose qui va les alourdir de plus en plus... une chose de votre choix... je ne sais pas... un fil de pêche... de la colle... des volets roulants... ou tout autre chose selon votre choix. C’est vous qui déci- dez... Vous pouvez essayer d’ouvrir les yeux... et vous constaterez que cela est difficile de les ouvrir... oh, oui... comme ceci... et ce sera de plus en plus difficile de les ouvrir. Allez-y, re- fermez les yeux... ressentez cette lourdeur sur les paupières jusqu’à ce que cela devienne tota- lement impossible de les ouvrir. (Elle n’y arrive plus.) Parfait, très bien...
-Th. : ...Et puis vous ressentez que votre bras, de l’épaule jusqu’au bout des doigts, devient totalement mou... complètement mou... et lourd... vous savez, un peu comme s’il s’agissait d’un pull en laine trempé dans de l’eau chaude et qu’on essaye de soulever. (Je m’approche et soulève son bras qui retombe lourdement.) Parfait...
- Th. : ...Maintenant vous allez partir de 100 et décomptez de 3 en 3... progressivement et jusqu’à ce que cela devienne de plus en difficile... confus... et qu’il soit devenu impossible de continuer... 100... 97... 92... 89... Très bien, essayez de continuer... cela devient de plus en plus confus... impossible...
- Th. : ...Derrière les paupières fermées... vous voyez un lieu... celui que vous avez choisi... réel ou imaginaire... seule vous connaissez où se trouve ce lieu... uniquement vous... et c’est très bien ainsi... Lorsque vous y êtes, vous me faites un signe (importance du signaling à chaque étape)... OK, parfait. Vous observez la boîte, celle dans laquelle... d’ici quelques instants vous viendrez placer toutes les choses qui s’imposent à vous et auxquelles vous ne sou- haitez pas penser... surtout lorsque vous êtes sur le point de vous endormir...
1ÈRE SÉCURITÉ : LA BOÎTE FERMÉE À CLÉ ET ENTERRÉE
(La patiente pleure…
Pour lire la suite...
Delphine Le Gris Psychologue clinicienne diplômée en 2013 d’un master Psychologie clinique et pathologique. Formation à l’hypnose et aux thérapies brèves au sein de l’IMHEN de Normandie en 2021-2022. Exerce en libéral depuis 2020.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°75 version Papier N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv. 2025
Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Sophie est une patiente que je suis depuis plus d’un an. Son histoire de vie est ponctuée de relations insécurisantes : de ses premiers liens à sa mère puis dans deux relations de couple. La première relation avec un homme plus âgé lui a permis de quitter le domicile familial à l’âge de 18 ans. Elle aura quatre en- fants avec cet homme. Sa dernière relation dont elle aura initié la séparation au cours de sa psychothérapie ne lui aura pas non plus laissé de place suffisante en tant que sujet propre et désirant. La psychothérapie initiée ensemble a donc pour objectif de développer ce processus de subjectivation. Lors de notre dernière séance, Sophie verba- lise une fois de plus sa sensation de se sentir débordée, mais à la différence que cette fois- ci elle s’est autorisée à lancer les démarches pour bénéficier d’une VAE (validation des acquis d’expérience professionnelle).
Dans son quotidien professionnel et personnel, elle repère le même mécanisme persistant : se donner beaucoup de tâches à faire pour ne pas penser, cela s’étant majoré depuis qu’elle vit seule, depuis sa séparation. Sophie évoque spontanément son désir de trouver une solution à son problème de sommeil. Ce n’est pas le temps nécessaire à son endormisse- ment qui lui pose problème mais la qualité de celui-ci. « Je ne peux pas m’endormir sans bruit et cela abîme mon sommeil car cela me réveille un peu plus tard dans la nuit. » Elle se questionne sur l’origine de son comporte- ment qui a toujours été là, même lorsqu’elle était en couple. Elle veut creuser le sujet. Cela ne semble pas s’expliquer par un sentiment de solitude difficilement tolérable. Par l’interro- gatoire elle perçoit que s’endormir avec une voix permet de court-circuiter ses pensées. Mais lesquelles ? Il ne s’agit pas des restes diurnes mais « des pensées qui sont angoissantes passées ou présentes », celles qu’elle ne peut pas régler de son histoire.
Son désir de creuser les choses m’a alors donné l’idée de creuser un trou dans lequel elle pourrait mettre un coffre-fort qui contiendrait tout ce qui l’empêche de s’endormir dans le calme et le silence. Je lui propose l’idée, elle accepte mais non sans témoigner de son angoisse à devoir laisser venir ces choses pour les mettre dans la boîte et donc le risque de se retrouver face à elles. Venant de quitter une journée de perfectionnement où nous avons approfondi l’induction d’Elman, je trouve alors tout à fait pertinent de lui proposer. L’approfondissement de la trace et la confusion sont nécessaires pour la laisser faire ce qu’elle a à faire dans les conditions les plus sécurisantes possibles. Cet exercice du coffre- fort présente « trois sécurités » : le coffre-fort fermé à clé et enterré dans un lieu, l’enterre- ment de la clé dans un autre lieu, et la volonté de la patiente comme deuxième clé.
PROTOCOLE
-Thérapeute (pré-talk) : « Tout à l’heure, mais pas tout de suite, vous irez dans le lieu de votre choix, que vous connaissez ou bien un lieu imaginaire. Vous y verrez la boîte dans laquelle vous viendrez déposer toutes les pensées... émotions... souvenirs... symboles... mots... ou tout autre chose qui vous empêche de vous endormir sereinement. Vous verrez aussi tous les outils qui vous sont nécessaires pour creuser, que ce soit une pelle, une pioche ou bien un bulldozer, ou autre. Vous vous en approcherez, vous mettrez dans la boîte tout ce que vous avez à y mettre, sans chercher à les élaborer, sans vous attarder dessus, sans cher- cher une logique entre elles... Tout à l’heure je viendrai soulever votre bras comme ceci (je lui montre) pour vérifier son tonus. Est-ce que vous m’autorisez à vous toucher ?
- Sophie : Oui.
- Th. : Vous préférez rentrer en hypnose les yeux ouverts ou les yeux fermés ?
- Sophie : Yeux fermés.
- Th. : OK, très bien. Allez-y... Pendant que les paupières sont fermées, pendant quelques instants, une part de vous prend le temps d’observer les bruits autour vous... propres à cette pièce... ou bien extérieurs à cette pièce... Voilà... Et puis sur une grande inspiration, vous ressentez la façon dont votre corps est positionné dans ce fauteuil... confortablement, profondément bien installé. Imaginez que sur les paupières, il y a quelque chose qui va les alourdir de plus en plus... une chose de votre choix... je ne sais pas... un fil de pêche... de la colle... des volets roulants... ou tout autre chose selon votre choix. C’est vous qui déci- dez... Vous pouvez essayer d’ouvrir les yeux... et vous constaterez que cela est difficile de les ouvrir... oh, oui... comme ceci... et ce sera de plus en plus difficile de les ouvrir. Allez-y, re- fermez les yeux... ressentez cette lourdeur sur les paupières jusqu’à ce que cela devienne tota- lement impossible de les ouvrir. (Elle n’y arrive plus.) Parfait, très bien...
-Th. : ...Et puis vous ressentez que votre bras, de l’épaule jusqu’au bout des doigts, devient totalement mou... complètement mou... et lourd... vous savez, un peu comme s’il s’agissait d’un pull en laine trempé dans de l’eau chaude et qu’on essaye de soulever. (Je m’approche et soulève son bras qui retombe lourdement.) Parfait...
- Th. : ...Maintenant vous allez partir de 100 et décomptez de 3 en 3... progressivement et jusqu’à ce que cela devienne de plus en difficile... confus... et qu’il soit devenu impossible de continuer... 100... 97... 92... 89... Très bien, essayez de continuer... cela devient de plus en plus confus... impossible...
- Th. : ...Derrière les paupières fermées... vous voyez un lieu... celui que vous avez choisi... réel ou imaginaire... seule vous connaissez où se trouve ce lieu... uniquement vous... et c’est très bien ainsi... Lorsque vous y êtes, vous me faites un signe (importance du signaling à chaque étape)... OK, parfait. Vous observez la boîte, celle dans laquelle... d’ici quelques instants vous viendrez placer toutes les choses qui s’imposent à vous et auxquelles vous ne sou- haitez pas penser... surtout lorsque vous êtes sur le point de vous endormir...
1ÈRE SÉCURITÉ : LA BOÎTE FERMÉE À CLÉ ET ENTERRÉE
(La patiente pleure…
Pour lire la suite...
Delphine Le Gris Psychologue clinicienne diplômée en 2013 d’un master Psychologie clinique et pathologique. Formation à l’hypnose et aux thérapies brèves au sein de l’IMHEN de Normandie en 2021-2022. Exerce en libéral depuis 2020.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°75 version Papier N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv. 2025
Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Catégories: Hypnose Paris,EMDR,Thérapie Brève Paris
Prendre en compte l'interaction. L'attention portée sur les relations. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
En cas de blocage avec un patient, dans le cadre d’une thérapie brève, la solution peut consister à élargir la focale en s’intéressant aux interactions avec toutes les personnes impliquées. Illustration à travers quatre histoires de la force de la thérapie brève stratégique.
A partir des années 1950 et 1960, les pionniers de ce qu’on appelle aujourd’hui « la thérapie brève » ont commencé à expérimenter des façons de penser et de pratiquer la thérapie qui heurtait les idées, les théories et les pratiques communément admises dans le champ clinique à leur époque. L’expression « thérapie brève » faisait alors figure d’oxymore, tant il était admis qu’une thérapie digne de ce nom se devait d’être une entreprise au long cours si elle visait un travail « en profondeur » et un changement durable... L’idée qu’un thérapeute puisse, par ses interventions, faire émerger un changement rapide et durable a mis beaucoup de temps à être acceptée au sein de notre culture, et elle n’est probablement pas encore tout à fait admise. Mais il ne s’agit, de loin, pas là de la seule transgression proposée par le modèle de Palo Alto vis-à-vis d’une pratique plus « orthodoxe » de la thérapie.
Pour n’en citer que quelques-unes, parmi les plus importantes :
• S’autoriser à travailler avec les proches du pa- tient pour l’aider à résoudre son problème .
• Renoncer à la recherche des prétendues « causes profondes » passées, enfouies ou refoulées, pour privilégier un travail sur les manifestations actuelles et observables du problème.
• Considérer que toute prétendue connaissance de soi – ou de l’autre – n’est jamais qu’une construction, qu’une autotromperie, plus ou moins utile pour la personne, et ne peut donc jamais être considérée comme « vraie » ou « fausse ».
• Ne pas considérer que la solution viendra nécessairement de la personne elle-même, et donc s’autoriser à être injonctif.
• Pratiquer la manipulation, à la manière d’Erickson, se muer en thérapeute caméléon et renoncer à l’idéal d’authenticité dans la communication.
• Considérer l’inconscient comme une ressource, comme un réservoir de possibilités, et non plus, comme l’avait fait Freud, comme le lieu pathologique de tous nos refoulements.
• Ne pas s’intéresser aux prétendues « pathologies » des patients mais à ce sur quoi l’intervenant va pouvoir s’appuyer pour faire évoluer leur situation.
• Enfin, se focaliser sur l’interaction plus que sur les individus, pris isolément, avec leurs soi-disant caractéristiques et problématiques « intrinsèques ». Et c’est sans doute surtout là la différence qui fait le plus de différence en termes de regard et de pratique thérapeutiques, comme j’aimerais l’illustrer dans cet article à travers quatre vignettes cliniques. Il sera d’abord question d’un jeune homme de 19 ans, déscolarisé, qui souffre d’anxiété et de terribles maux de ventre. Nous parlerons ensuite d’une septuagénaire qui se plaint de pensées obsessionnelles à propos de sa sœur, pensées qui nourrissent chez elle une anxiété chronique. Le troisième cas concernera un jeune de 15 ans souffrant d’obésité morbide, placé dans un foyer pour adolescents en raison de sa « toute-puissance » et de sa violence. Enfin, nous évoquerons un jeune de 12 ans, qui souffre d’angoisses de mort et d’isolement social...
PREMIÈRE VIGNETTE : MARTIN EXPRIME DE TERRIBLES MAUX DE VENTRE
Martin, 19 ans, est déscolarisé depuis plusieurs mois. Il va très mal et dit ne rien pouvoir faire en raison de terribles maux de ventre... Il est le deuxième fils d’une fratrie de quatre enfants, dont les parents traversent une séparation extrêmement difficile. Martin vit chez son père. Ce dernier, entrepreneur dans le bâtiment, s’inquiète beaucoup de l’état de son fils... Le père a emmené Martin consulter de nombreux médecins, qui sont unanimes : les douleurs dont souffre le jeune homme sont d’origine psychosomatique.
La séparation avec la mère est vraiment difficile pour Martin, mais il ne souffre clairement d’aucune « maladie ». Ses maux de ventre, son abattement, sont attribuables à des causes « émotionnelles ». Le papa essaie de pousser Martin vers un retour à l’école ou vers toute autre forme d’activité, il lui dit qu’il n’a rien, que c’est dans sa tête, qu’il doit se bouger, s’activer s’il veut aller mieux... Face à ces exhortations répétées, Martin se replie toujours plus dans sa chambre, exprime toujours plus de maux de ventre, se lève de plus en plus tard... En même temps le papa gâte beaucoup son fils, car il voit qu’il va de plus en plus mal et aussi parce qu’il culpabilise de toutes les conséquences pénibles que la séparation fait subir à Martin.
Petit à petit, Martin se mure de plus en plus dans le silence, il coupe toute communication avec son père, qui insiste maintenant, en vain, pour l’amener à consulter un thérapeute. C’est donc le papa qui finit par consulter lui-même une thérapeute, ne sachant plus comment faire pour aider son fils à sortir de cette situation délétère. Pour la thérapeute, le père est donc la seule porte d’entrée dans la situation problématique, puisque Martin, convaincu qu’il souffre d’une maladie « physique » qui n’a pas encore pu être diagnostiquée, refuse obstinément de consulter un « psy », un « hypnothérapeute », ou tout autre professionnel de la relation d’aide, et que la mère de Martin, en conflit ouvert avec le père, refuse catégoriquement de s’impliquer dans une démarche initiée par son futur ex-mari. Dans une situation de ce type, la thérapeute n’a pas d’autre option que de s’appuyer sur la relation entre le père et le fils si elle veut avoir la moindre chance d’avoir une influence sur le mal-être du jeune...
Elle examine donc les tentatives de solution du père, dans le but de modifier l’interaction en amenant le père à se repositionner différemment avec son fils. Dans l’interaction actuelle, plus le fils dit être en difficulté, plus le père minimise la « réalité » de ses troubles, le pousse et l’exhorte, et plus en réaction le fils va mal et s’éloigne de son père, etc. Le comportement de l’un déclenchant le comportement de l’autre, dans un processus de rétroaction par feedback positif qui maintient le problème. La thérapeute commence donc par essayer d’amener le père à arrêter de minimiser la souffrance de son fils.
« Vous êtes rassuré, lui dit-elle, sur le fait que sur le plan médical il n’y a rien, mais quand on dit à Martin qu’il n’a rien, ça le rend plus anxieux, car lui a la perception qu’il a quelque chose. Du coup, il ne peut plus vous parler, il ne se sent pas compris, et il se renferme de plus en plus... » Elle invite donc le père à tenir à son fils le discours suivant : « Les médecins n’ont pas trouvé ce qui ne va pas chez toi, mais moi je vois que tu souffres énormément et que tu n’es pas capable de faire plus pour le moment... »
Elle l’invite également à arrêter de solliciter Martin « pour son bien », mais de plutôt commencer à lui demander de l’aide pour lui-même : « Je sais que tu ne vas pas bien et je n’ose pas te le demander... mais est-ce que tu pourrais aller chercher ta sœur après son cours d’arts martiaux ? » Et Martin va chercher sa petite sœur... « Je ne sais pas comment tu vas aujourd’hui, mais j’ai un super problème au travail... J’imagine que tu ne pourras probablement pas le faire, mais je te demande au cas où... » Martin commence alors à se tester et à faire de plus en plus de choses. Il commence peu à peu à travailler avec son père et finit par rénover un appartement avec lui. Les maux de ventre ont progressivement disparu, alors que la relation entre père et fils, au départ très complémentaire, évoluait vers davantage de symétrie. Au lieu de lui donner beaucoup, en position haute, tandis que son fils, intimidé, recevait en position basse, le père a commencé à moins « gâter » Martin et a continué à lui demander de l’aide : « Je ne peux pas te donner une voiture, par contre ton grand-père a une vieille voiture qu’il faudrait aller chercher et réparer... Et j’aurais peut-être un studio dans lequel tu pourrais t’installer, mais il y a tant de travaux à y faire et je n’y arriverai pas seul... »
Dans cette situation où Martin n’était pas un candidat pour l’hypnose médicale, la thérapie brève, cette approche de « thérapie indirecte » a été extrêmement utile, et a permis au père de ne plus voir son fils à la dérive et au jeune de commencer à affronter les choses et à gagner en confiance.
DEUXIÈME VIGNETTE : NICOLE ET SA « MAUDITE » SŒUR QUI A ENVAHI SA VIE
Passons maintenant à Nicole, septuagénaire, qui a, depuis l’enfance, toujours été extrêmement jalouse de sa sœur adoptive, qui lui a, explique-t-elle, « volé ses parents ».
Depuis qu’elle est devenue mère, Nicole a aussi eu le sentiment que sa sœur lui volait une part importante de l’amour de sa propre fille, et récemment, depuis que cette dernière est enceinte, Nicole vit dans l’angoisse permanente que sa sœur lui vole bientôt l’amour de sa petite-fille. Elle ne pense en permanence qu’à sa maudite sœur, elle se dit obsédée par elle ! Furieuse, elle nous parle d’une photo de mariage, qui trône dans le salon de sa fille, sur laquelle sa sœur figure en bonne place à côté des mariés, alors qu’elle – qui est quand même la mère de la mariée – se situe en périphérie, et est littéralement « coupée en deux » en marge de la photo. Nicole nous explique qu’elle n’a de cesse d’essayer de limiter l’influence de sa sœur sur sa fille, en cherchant, dans la mesure du possible, à l’éloigner physiquement, mais pour son malheur sa fille adorée a développé une relation très complice avec sa tante, avec qui elle passe volontiers une soirée autour d’une bonne bouteille de vin...
Nicole essaie également de faire comprendre à ses proches à quel point sa sœur est une mauvaise personne et à quel point elle l’a fait souffrir tout au long de sa vie... Son mari la comprend et lui dit partager son avis, mais Nicole nous explique que plus elle cherche à éloigner sa sœur de sa fille, et plus elles semblent devenir complices ; plus elle cherche à expliquer à sa fille à quel point cette femme est foncièrement mauvaise et dangereuse, et plus sa fille prend la défense de sa tante. Dans cette situation problématique complexe, qui implique plusieurs interactions entremêlées, la thérapie brève stratégique est, là encore, un modèle intéressant, car elle permet de réduire la complexité à travers une grille de résolution de problèmes rigoureuse : qui est demandeur d’aide ? Nicole. Quelle est sa plainte ? « Ma sœur a complètement envahi ma vie ! »
Que fait-elle pour essayer de lutter contre cette situation ? Elle essaie de mettre en œuvre des stratégies pour réduire son influence sur sa famille et elle en parle en permanence avec ses proches. C’est donc sur ces tentatives de solution que l’équipe thérapeutique focalisa ses interventions. Lors des premiers entretiens, nous avons commencé par amener Nicole à moins parler de sa sœur avec son mari, en lui faisant remarquer : « Si nous comprenons bien, déjà que votre sœur, cette sorte de “coucou”, vous gâche énormément la vie... à chaque fois que vous en parlez à votre mari, c’est un peu comme si vous l’invitiez dans votre salon, voire même dans la chambre à coucher... » Nous sommes aussi parvenus à l’amener progressivement à percevoir le côté contre-productif de trop chercher à décrédibiliser sa sœur aux yeux de sa fille, car « cela revient à prendre le risque de passer pour une femme aigrie, jalouse et mesquine, et à faire passer votre sœur pour une victime innocente de votre vindicte ».
Après quelques séances, Nicole nous présente une situation typique du type de problèmes qu’elle rencontre avec sa « maudite » sœur : suite à un concours de circonstances, elle a été amenée à organiser, chez elle, un repas de famille auquel sont conviés, notamment, sa fille et son conjoint, ainsi que sa redoutable sœur. Depuis qu’elle sait que ce repas va se dérouler chez elle, elle n’en dort plus la nuit, car elle craint que sa sœur n’en profite, une fois de plus, pour « prendre toute la place », pour se mettre en avant et pour lui gâcher cette fête de famille dont elle se réjouissait tant... Nicole essaie d’échafauder divers plans pour limiter la capacité de nuisance de sa sœur, et essayer d’éviter notamment, tant que faire se peut, qu’elle ne se retrouve assise à côté de sa fille... Sentant à quel point cette réunion de famille vient raviver la souffrance de Nicole, nous la voyons aussi comme une opportunité qui pourrait lui permettre de se positionner différemment, vis-à-vis de sa sœur, pour la première fois en plusieurs décennies, et per- mettre ainsi à cette relation de commencer à se transformer.
Mais un tel repositionnement nécessiterait une attitude tellement à l’opposé de ce qu’envisage à ce stade Nicole, que nous avons dû l’amener avec beaucoup de précautions.
Voilà comment nous avons procédé : « Nous comprenons bien que cette perspective d’ac- cueillir votre sœur, ce coucou, chez vous pour cette réunion de famille vous préoccupe énormément et que vous vous demandez comment vous positionner... Nous aurions bien quelque chose à vous proposer, qui pourrait vous per- mettre de reprendre le contrôle de la situation, et de ne plus être le jouet de votre sœur... mais nous pensons que c’est encore trop tôt, que vous n’êtes pas encore prête, et que si nous vous le proposions, vous nous diriez : “Alors là non, tout sauf ça !”. »
Cette entrée en matière en forme de défi et de freinage, visant à mobiliser la patiente, produisit l’effet escompté chez Nicole, qui nous somma avec insistance de lui dire, tout de suite, ce qu’elle devait faire. Nous lui avons alors proposé de se comporter, elle, en souveraine clémente et généreuse lors du repas, et de réserver à sa sœur la place de choix, au centre de la table, à côté de sa fille, plutôt que de chercher à la reléguer dans un coin. « Ainsi, vous montrerez à tous que vous n’êtes pas cette femme jalouse et mesquine mais bien celle qui maîtrise la situation et vous pourrez regarder votre ennemie en face, avec un grand sourire. » Nicole suivit notre conseil, et revint à la séance suivante ravie de la façon dont s’était passée cette soirée, au cours de laquelle, nous dit-elle, sa sœur s’était comportée très agréablement et avait su, pour une fois, « rester à sa place »...
Ce fut une phase décisive pour l’évolution de cette situation relationnelle rigidifiée depuis plus de cinquante ans ! Là encore, c’est en s’intéressant aux interactions avec toutes les personnes impliquées dans la problématique que les thérapeutes purent amener Nicole à se sortir progressive- ment sa sœur de la tête.
TROISIÈME VIGNETTE : CHRIS SANS LIMITES DANS SON SENTIMENT DE « TOUTE-PUISSANCE »
La situation suivante s’inscrit dans le cadre de la supervision d’une équipe éducative au sein d’un foyer pour adolescents. Chris, un jeune de 15 ans souffrant d’obésité morbide, a été...
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Guillaume Delannoy Directeur adjoint de l’Institut Gregory Bateson (IGB) et président de l’Association vaudoise d’intervention et de thérapie systémique (AVDITS). Enseigne la thérapie brève et l’hypnose à des professionnels de la relation d’aide dans le cadre des formations de l’IGB ainsi qu’en tant que chargé de cours dans plusieurs universités en France, en Suisse et en Belgique. Responsable du centre de thérapie brève de l’IGB à Lausanne, il intervient dans l’accompagnement de personnes et d’équipes en difficultés dans leur contexte professionnel et supervise plusieurs équipes socio-éducatives en Suisse romande et en France. Auteur et coauteur de plus d’une vingtaine d’articles sur la thérapie brève de Palo Alto.
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Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Pour n’en citer que quelques-unes, parmi les plus importantes :
• S’autoriser à travailler avec les proches du pa- tient pour l’aider à résoudre son problème .
• Renoncer à la recherche des prétendues « causes profondes » passées, enfouies ou refoulées, pour privilégier un travail sur les manifestations actuelles et observables du problème.
• Considérer que toute prétendue connaissance de soi – ou de l’autre – n’est jamais qu’une construction, qu’une autotromperie, plus ou moins utile pour la personne, et ne peut donc jamais être considérée comme « vraie » ou « fausse ».
• Ne pas considérer que la solution viendra nécessairement de la personne elle-même, et donc s’autoriser à être injonctif.
• Pratiquer la manipulation, à la manière d’Erickson, se muer en thérapeute caméléon et renoncer à l’idéal d’authenticité dans la communication.
• Considérer l’inconscient comme une ressource, comme un réservoir de possibilités, et non plus, comme l’avait fait Freud, comme le lieu pathologique de tous nos refoulements.
• Ne pas s’intéresser aux prétendues « pathologies » des patients mais à ce sur quoi l’intervenant va pouvoir s’appuyer pour faire évoluer leur situation.
• Enfin, se focaliser sur l’interaction plus que sur les individus, pris isolément, avec leurs soi-disant caractéristiques et problématiques « intrinsèques ». Et c’est sans doute surtout là la différence qui fait le plus de différence en termes de regard et de pratique thérapeutiques, comme j’aimerais l’illustrer dans cet article à travers quatre vignettes cliniques. Il sera d’abord question d’un jeune homme de 19 ans, déscolarisé, qui souffre d’anxiété et de terribles maux de ventre. Nous parlerons ensuite d’une septuagénaire qui se plaint de pensées obsessionnelles à propos de sa sœur, pensées qui nourrissent chez elle une anxiété chronique. Le troisième cas concernera un jeune de 15 ans souffrant d’obésité morbide, placé dans un foyer pour adolescents en raison de sa « toute-puissance » et de sa violence. Enfin, nous évoquerons un jeune de 12 ans, qui souffre d’angoisses de mort et d’isolement social...
PREMIÈRE VIGNETTE : MARTIN EXPRIME DE TERRIBLES MAUX DE VENTRE
Martin, 19 ans, est déscolarisé depuis plusieurs mois. Il va très mal et dit ne rien pouvoir faire en raison de terribles maux de ventre... Il est le deuxième fils d’une fratrie de quatre enfants, dont les parents traversent une séparation extrêmement difficile. Martin vit chez son père. Ce dernier, entrepreneur dans le bâtiment, s’inquiète beaucoup de l’état de son fils... Le père a emmené Martin consulter de nombreux médecins, qui sont unanimes : les douleurs dont souffre le jeune homme sont d’origine psychosomatique.
La séparation avec la mère est vraiment difficile pour Martin, mais il ne souffre clairement d’aucune « maladie ». Ses maux de ventre, son abattement, sont attribuables à des causes « émotionnelles ». Le papa essaie de pousser Martin vers un retour à l’école ou vers toute autre forme d’activité, il lui dit qu’il n’a rien, que c’est dans sa tête, qu’il doit se bouger, s’activer s’il veut aller mieux... Face à ces exhortations répétées, Martin se replie toujours plus dans sa chambre, exprime toujours plus de maux de ventre, se lève de plus en plus tard... En même temps le papa gâte beaucoup son fils, car il voit qu’il va de plus en plus mal et aussi parce qu’il culpabilise de toutes les conséquences pénibles que la séparation fait subir à Martin.
Petit à petit, Martin se mure de plus en plus dans le silence, il coupe toute communication avec son père, qui insiste maintenant, en vain, pour l’amener à consulter un thérapeute. C’est donc le papa qui finit par consulter lui-même une thérapeute, ne sachant plus comment faire pour aider son fils à sortir de cette situation délétère. Pour la thérapeute, le père est donc la seule porte d’entrée dans la situation problématique, puisque Martin, convaincu qu’il souffre d’une maladie « physique » qui n’a pas encore pu être diagnostiquée, refuse obstinément de consulter un « psy », un « hypnothérapeute », ou tout autre professionnel de la relation d’aide, et que la mère de Martin, en conflit ouvert avec le père, refuse catégoriquement de s’impliquer dans une démarche initiée par son futur ex-mari. Dans une situation de ce type, la thérapeute n’a pas d’autre option que de s’appuyer sur la relation entre le père et le fils si elle veut avoir la moindre chance d’avoir une influence sur le mal-être du jeune...
Elle examine donc les tentatives de solution du père, dans le but de modifier l’interaction en amenant le père à se repositionner différemment avec son fils. Dans l’interaction actuelle, plus le fils dit être en difficulté, plus le père minimise la « réalité » de ses troubles, le pousse et l’exhorte, et plus en réaction le fils va mal et s’éloigne de son père, etc. Le comportement de l’un déclenchant le comportement de l’autre, dans un processus de rétroaction par feedback positif qui maintient le problème. La thérapeute commence donc par essayer d’amener le père à arrêter de minimiser la souffrance de son fils.
« Vous êtes rassuré, lui dit-elle, sur le fait que sur le plan médical il n’y a rien, mais quand on dit à Martin qu’il n’a rien, ça le rend plus anxieux, car lui a la perception qu’il a quelque chose. Du coup, il ne peut plus vous parler, il ne se sent pas compris, et il se renferme de plus en plus... » Elle invite donc le père à tenir à son fils le discours suivant : « Les médecins n’ont pas trouvé ce qui ne va pas chez toi, mais moi je vois que tu souffres énormément et que tu n’es pas capable de faire plus pour le moment... »
Elle l’invite également à arrêter de solliciter Martin « pour son bien », mais de plutôt commencer à lui demander de l’aide pour lui-même : « Je sais que tu ne vas pas bien et je n’ose pas te le demander... mais est-ce que tu pourrais aller chercher ta sœur après son cours d’arts martiaux ? » Et Martin va chercher sa petite sœur... « Je ne sais pas comment tu vas aujourd’hui, mais j’ai un super problème au travail... J’imagine que tu ne pourras probablement pas le faire, mais je te demande au cas où... » Martin commence alors à se tester et à faire de plus en plus de choses. Il commence peu à peu à travailler avec son père et finit par rénover un appartement avec lui. Les maux de ventre ont progressivement disparu, alors que la relation entre père et fils, au départ très complémentaire, évoluait vers davantage de symétrie. Au lieu de lui donner beaucoup, en position haute, tandis que son fils, intimidé, recevait en position basse, le père a commencé à moins « gâter » Martin et a continué à lui demander de l’aide : « Je ne peux pas te donner une voiture, par contre ton grand-père a une vieille voiture qu’il faudrait aller chercher et réparer... Et j’aurais peut-être un studio dans lequel tu pourrais t’installer, mais il y a tant de travaux à y faire et je n’y arriverai pas seul... »
Dans cette situation où Martin n’était pas un candidat pour l’hypnose médicale, la thérapie brève, cette approche de « thérapie indirecte » a été extrêmement utile, et a permis au père de ne plus voir son fils à la dérive et au jeune de commencer à affronter les choses et à gagner en confiance.
DEUXIÈME VIGNETTE : NICOLE ET SA « MAUDITE » SŒUR QUI A ENVAHI SA VIE
Passons maintenant à Nicole, septuagénaire, qui a, depuis l’enfance, toujours été extrêmement jalouse de sa sœur adoptive, qui lui a, explique-t-elle, « volé ses parents ».
Depuis qu’elle est devenue mère, Nicole a aussi eu le sentiment que sa sœur lui volait une part importante de l’amour de sa propre fille, et récemment, depuis que cette dernière est enceinte, Nicole vit dans l’angoisse permanente que sa sœur lui vole bientôt l’amour de sa petite-fille. Elle ne pense en permanence qu’à sa maudite sœur, elle se dit obsédée par elle ! Furieuse, elle nous parle d’une photo de mariage, qui trône dans le salon de sa fille, sur laquelle sa sœur figure en bonne place à côté des mariés, alors qu’elle – qui est quand même la mère de la mariée – se situe en périphérie, et est littéralement « coupée en deux » en marge de la photo. Nicole nous explique qu’elle n’a de cesse d’essayer de limiter l’influence de sa sœur sur sa fille, en cherchant, dans la mesure du possible, à l’éloigner physiquement, mais pour son malheur sa fille adorée a développé une relation très complice avec sa tante, avec qui elle passe volontiers une soirée autour d’une bonne bouteille de vin...
Nicole essaie également de faire comprendre à ses proches à quel point sa sœur est une mauvaise personne et à quel point elle l’a fait souffrir tout au long de sa vie... Son mari la comprend et lui dit partager son avis, mais Nicole nous explique que plus elle cherche à éloigner sa sœur de sa fille, et plus elles semblent devenir complices ; plus elle cherche à expliquer à sa fille à quel point cette femme est foncièrement mauvaise et dangereuse, et plus sa fille prend la défense de sa tante. Dans cette situation problématique complexe, qui implique plusieurs interactions entremêlées, la thérapie brève stratégique est, là encore, un modèle intéressant, car elle permet de réduire la complexité à travers une grille de résolution de problèmes rigoureuse : qui est demandeur d’aide ? Nicole. Quelle est sa plainte ? « Ma sœur a complètement envahi ma vie ! »
Que fait-elle pour essayer de lutter contre cette situation ? Elle essaie de mettre en œuvre des stratégies pour réduire son influence sur sa famille et elle en parle en permanence avec ses proches. C’est donc sur ces tentatives de solution que l’équipe thérapeutique focalisa ses interventions. Lors des premiers entretiens, nous avons commencé par amener Nicole à moins parler de sa sœur avec son mari, en lui faisant remarquer : « Si nous comprenons bien, déjà que votre sœur, cette sorte de “coucou”, vous gâche énormément la vie... à chaque fois que vous en parlez à votre mari, c’est un peu comme si vous l’invitiez dans votre salon, voire même dans la chambre à coucher... » Nous sommes aussi parvenus à l’amener progressivement à percevoir le côté contre-productif de trop chercher à décrédibiliser sa sœur aux yeux de sa fille, car « cela revient à prendre le risque de passer pour une femme aigrie, jalouse et mesquine, et à faire passer votre sœur pour une victime innocente de votre vindicte ».
Après quelques séances, Nicole nous présente une situation typique du type de problèmes qu’elle rencontre avec sa « maudite » sœur : suite à un concours de circonstances, elle a été amenée à organiser, chez elle, un repas de famille auquel sont conviés, notamment, sa fille et son conjoint, ainsi que sa redoutable sœur. Depuis qu’elle sait que ce repas va se dérouler chez elle, elle n’en dort plus la nuit, car elle craint que sa sœur n’en profite, une fois de plus, pour « prendre toute la place », pour se mettre en avant et pour lui gâcher cette fête de famille dont elle se réjouissait tant... Nicole essaie d’échafauder divers plans pour limiter la capacité de nuisance de sa sœur, et essayer d’éviter notamment, tant que faire se peut, qu’elle ne se retrouve assise à côté de sa fille... Sentant à quel point cette réunion de famille vient raviver la souffrance de Nicole, nous la voyons aussi comme une opportunité qui pourrait lui permettre de se positionner différemment, vis-à-vis de sa sœur, pour la première fois en plusieurs décennies, et per- mettre ainsi à cette relation de commencer à se transformer.
Mais un tel repositionnement nécessiterait une attitude tellement à l’opposé de ce qu’envisage à ce stade Nicole, que nous avons dû l’amener avec beaucoup de précautions.
Voilà comment nous avons procédé : « Nous comprenons bien que cette perspective d’ac- cueillir votre sœur, ce coucou, chez vous pour cette réunion de famille vous préoccupe énormément et que vous vous demandez comment vous positionner... Nous aurions bien quelque chose à vous proposer, qui pourrait vous per- mettre de reprendre le contrôle de la situation, et de ne plus être le jouet de votre sœur... mais nous pensons que c’est encore trop tôt, que vous n’êtes pas encore prête, et que si nous vous le proposions, vous nous diriez : “Alors là non, tout sauf ça !”. »
Cette entrée en matière en forme de défi et de freinage, visant à mobiliser la patiente, produisit l’effet escompté chez Nicole, qui nous somma avec insistance de lui dire, tout de suite, ce qu’elle devait faire. Nous lui avons alors proposé de se comporter, elle, en souveraine clémente et généreuse lors du repas, et de réserver à sa sœur la place de choix, au centre de la table, à côté de sa fille, plutôt que de chercher à la reléguer dans un coin. « Ainsi, vous montrerez à tous que vous n’êtes pas cette femme jalouse et mesquine mais bien celle qui maîtrise la situation et vous pourrez regarder votre ennemie en face, avec un grand sourire. » Nicole suivit notre conseil, et revint à la séance suivante ravie de la façon dont s’était passée cette soirée, au cours de laquelle, nous dit-elle, sa sœur s’était comportée très agréablement et avait su, pour une fois, « rester à sa place »...
Ce fut une phase décisive pour l’évolution de cette situation relationnelle rigidifiée depuis plus de cinquante ans ! Là encore, c’est en s’intéressant aux interactions avec toutes les personnes impliquées dans la problématique que les thérapeutes purent amener Nicole à se sortir progressive- ment sa sœur de la tête.
TROISIÈME VIGNETTE : CHRIS SANS LIMITES DANS SON SENTIMENT DE « TOUTE-PUISSANCE »
La situation suivante s’inscrit dans le cadre de la supervision d’une équipe éducative au sein d’un foyer pour adolescents. Chris, un jeune de 15 ans souffrant d’obésité morbide, a été...
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Guillaume Delannoy Directeur adjoint de l’Institut Gregory Bateson (IGB) et président de l’Association vaudoise d’intervention et de thérapie systémique (AVDITS). Enseigne la thérapie brève et l’hypnose à des professionnels de la relation d’aide dans le cadre des formations de l’IGB ainsi qu’en tant que chargé de cours dans plusieurs universités en France, en Suisse et en Belgique. Responsable du centre de thérapie brève de l’IGB à Lausanne, il intervient dans l’accompagnement de personnes et d’équipes en difficultés dans leur contexte professionnel et supervise plusieurs équipes socio-éducatives en Suisse romande et en France. Auteur et coauteur de plus d’une vingtaine d’articles sur la thérapie brève de Palo Alto.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°75 version Papier N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv. 2025
Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Le souffle de la guérison au Népal. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
Deux anthropologues nous content les pratiques chamaniques qui avaient lieu, il y a encore quelques années, au sein de différentes ethnies du Népal. Dans la communauté Tamang, vivant dans le nord-est du pays, les bampos, ceux « qui détiennent le savoir », pratiquent des rituels de guérison. Voyageant dans le monde de l’Invisible, secondés par leurs ancêtres, ces chamans interviennent auprès des dieux, pourvoyeurs ou guérisseurs de maladies, ou auprès des démons et entités maléfiques, responsables de troubles graves voire voleurs d’âmes.
Appelé auprès d’une personne souffrante, le bampo accomplit immédiatement les gestes appris de ses maîtres passés. Une fois le diagnostic posé grâce à une prise de pouls décisive, le chaman récite ses mantras, des formules secrètes, magiques, inintelligibles au commun des hommes, et les accompagne d’un souffle long et appuyé, dirigé sur la région malade de la personne. Il effectue ce souffle guérisseur par cinq fois, la dernière de façon plus prononcée et doublée d’un geste « magique » sur la partie souffrante, mimant le fait d’en extirper le mal. Le chaman transmet par son souffle, par les sons et mots qu’il émet, le pouvoir guéris- seur des dieux.
Au terme de ces cinq souffles, le trouble est chassé, l’ordre est rétabli. Ainsi en est-il pour des pathologies « bénignes », douleurs, cauchemars violents récurrents... Le bampo applique, si nécessaire, un onguent végétal sur une plaie, des cendres sur une région douloureuse, ou passe sur le corps des plumes d’oiseau au pouvoir purificateur. Il faut parfois répéter ce rituel sous une forme plus dramatique et de nuit, le chaman alors déployant, de surcroît, des chants au rythme tenace tout en enveloppant le patient de fumée d’encens. On voit poindre, dans cette cérémonie réalisée dans l’obscurité du soir, des éléments hypnagogiques dépassant la simple pratique suggestive des premiers soins.
Dans les pathologies sévères, diabète, troubles neurologiques, douleurs chroniques... relevant de l’action d’entités malveillantes, le bompo doit organiser des séances destinées à combattre ou repousser les démons du monde de l’Invisible, à ramener l’âme du patient dérobée par ces derniers. Les prépara- tifs de cette cérémonie nocturne demeurent discrets ; seuls les tambours avertissent les villageois que famille, parents et amis sont rassemblés autour d’une personne malade, et qu’un rituel de guérison débute et durera jusqu’au matin. Nombreux viennent assister à cet événement, assister au sens réel du terme car chacun, adulte ou enfant, participe à sa manière au bon déroulement de la séance, en interaction avec le rituel.
Celui-ci, quels que soient chamans et pathologies concernés, comporte des invariants constitutifs d’un récit, métaphore de la guérison, qui est mis en acte et dont les moments thérapeutiques sont aisément reconnaissables. On installe le patient au centre de la pièce, assis sur une natte à même le sol, la tête recouverte d’un linge ; le chaman s’assoit à ses côtés. Devant eux par terre, un « autel » est édifié sur lequel sont posés divers objets rituéliques ainsi que des statuettes modelées, effigies des démons à combattre ; des diagrammes, représentations cosmiques, sont tracés avec des poudres colorées. L’espace thérapeutique est délimité. Le bampo porte en bandoulière sur l’une et l’autre épaule deux grosses lanières garnies de grelots et cloches, croisées sur son buste, un collier de grosses graines, un chapelet de cent huit perles. Il frappe maintenant son tambour à deux faces à l’aide d’une baguette en fer recourbée ; accompagné de ses assistants, il chante. Bientôt son corps, ses genoux se mettent à trembler.
Secoué de soubresauts, sa respiration haletante, il joue alors seul, de plus en plus fort, de plus en plus vite, prononçant des onomatopées scandées. Il est en transe. Cloches et grelots de ses lanières sonnent fort, ils disent que le chaman est en contact avec son ancêtre tutélaire. Possédé et guidé par celui-ci, le bampo est alors en mesure de mener le processus de guérison ; il peut voyager dans le pays de l’Invisible, négocier avec les esprits, combattre et éloi- gner les démons, rapporter l’âme volée. Afin d’attirer et concentrer les Forces protectrices de l’Autre Monde, il danse autour du patient et de l’autel, dessine avec son tambour des cercles au-dessus de la tête du sujet puis effectue, à l’extérieur de la maison, des danses spectaculaires. Puis le bompo réalise enfin le rituel du souffle déjà cité, accompagné de fumigations d’encens et de chants. Le chaman trace ensuite sur le sol...
Pour lire la suite...
Dr Sylvie LE PELLETIER-BEAUFOND Médecin-psychothérapeute depuis 1991, hypnothérapeute, thérapeute systémique de famille et de couple, à Paris en libéral. Formatrice, elle reçoit des professionnels en supervision. Formée à l’Institut Milton Erickson de Paris et par Mony Elkaïm, sa pratique clinique s’inspire de la pensée de François Roustang. Membre de la Société française de Thérapie familiale. Anthropologue des religions et diplômée de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
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Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
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Au terme de ces cinq souffles, le trouble est chassé, l’ordre est rétabli. Ainsi en est-il pour des pathologies « bénignes », douleurs, cauchemars violents récurrents... Le bampo applique, si nécessaire, un onguent végétal sur une plaie, des cendres sur une région douloureuse, ou passe sur le corps des plumes d’oiseau au pouvoir purificateur. Il faut parfois répéter ce rituel sous une forme plus dramatique et de nuit, le chaman alors déployant, de surcroît, des chants au rythme tenace tout en enveloppant le patient de fumée d’encens. On voit poindre, dans cette cérémonie réalisée dans l’obscurité du soir, des éléments hypnagogiques dépassant la simple pratique suggestive des premiers soins.
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Dr Sylvie LE PELLETIER-BEAUFOND Médecin-psychothérapeute depuis 1991, hypnothérapeute, thérapeute systémique de famille et de couple, à Paris en libéral. Formatrice, elle reçoit des professionnels en supervision. Formée à l’Institut Milton Erickson de Paris et par Mony Elkaïm, sa pratique clinique s’inspire de la pensée de François Roustang. Membre de la Société française de Thérapie familiale. Anthropologue des religions et diplômée de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
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. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
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. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
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Fernando
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Douleur Chronique, un message adressé. Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
Toute douleur qui s’exprime a besoin d’être accueillie, considérée, reconnue. A fortiori si celle-ci est chronique et racontée lors d’un accompagnement en hypnose. Ecouter et favoriser le message de la « personne douloureuse » contribuent à donner du sens au chemin thérapeutique partagé.
La douleur d’une personne est « un fait anthropologique et non pas seulement un accident biomédical » (1). C’est l’expérience subjective d’un homme vivant parmi les autres hommes. Cette expérience, liée à sa culture, à son histoire, aux circonstances et aux enjeux, altère la personne ; laquelle se trouve alors changée et dégradée. « (...) j’étais changé » (2), écrivait André Gide. La douleur s’impose sans pouvoir être repoussée, refoulée. « L’émergence de la douleur est une me- nace redoutable pour le sentiment d’identité » (3). Lorsque cette expérience devient intense, la douleur « retire (l’homme) du monde », selon les termes de Hannah Arendt (4) ; jusqu’à parfois laisser percevoir l’ombre portée de la mort.
Comme pour Georges Canguilhem, « il nous paraît tout à fait important qu’un médecin proclame que l’homme fait sa douleur comme il fait une maladie ou un deuil – bien plutôt qu’il ne la reçoit, ou ne la subit » (5). Méfions-nous de tenter d’objectiver la douleur avec pour projet de la mesurer, de la discerner pour tenter de la maîtriser : illusion scientifique réductrice et déshumanisante. Nous ne rencontrons jamais une douleur mais toujours une personne douloureuse. Ne confondons pas un symptôme avec l’expérience singulière d’une personne riche de son histoire et de sa culture.
« Expérience intime et incommunicable » (6), la douleur est pour autant indéniable même lorsqu’elle est dite chronique, vécue depuis plus de six mois, et inexplicable objective- ment. Cette douleur dite chronique, ou plus exactement cette personne douloureuse de- puis plus de six mois, changée et dégradée, se plaint à une autre personne, c’est une adresse à autrui, un message adressé... Comment accueillir ce message ? Comment en rechercher le sens ?
COMMENT ACCUEILLIR CE MESSAGE ?
Nous devons accueillir ce message adressé, ce que la personne douloureuse raconte de son histoire et de son vécu : ce qu’elle dit et ce qu’elle montre. Cette narration est primordiale, première, signifiante et médiatrice.
Primordiale car elle est constitutive de la nature humaine. Sans cette possibilité de raconter et de se raconter, l’homme serait pauvre en relation alors qu’il est constitutionnellement un être de relation. Nous rencontrons toujours une autre personne « au travers » d’innombrables interactions subjectives réciproques, singulières pour chacun ; rencontre imprévisible et modelée par les enjeux et les circonstances.
Première car toute personne, sujet agissant et souffrant, ne raconte pas seulement ce qu’elle expérimente – quoi ? – et la raison pour laquelle elle le raconte – pourquoi ? –, elle se raconte elle-même, elle fait part de son identité par la narration ; c’est l’identité narrative décrite par Paul Ricoeur (7). C’est-à-dire que la personne se désigne elle-même non pas seulement par qui suis-je ? mais aussi par que suis-je ? C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement d’écouter, mais aussi et sur- tout d’accueillir cette narration au sens d’être présent, disponible, attentif et intéressé.
Signifiante car, radicalement subjective par nature, vive, vivante, la narration fait advenir un sens ; certes non sans parfois des difficultés et des incertitudes quant à la mise en œuvre de cette narration. Celle-ci permet de transformer les forces de la vie intime en leur donnant une sorte de réalité, une certaine apparence, un sens. La narration permet d’éclairer « ce symptôme (douleur) par le discours de ce patient et ne plus lire à travers la grille scientifique qui réduit chaque corps à un corps anonyme » (8). Toute maladie et toute douleur représentent aussi un phénomène socioculturel signifiant qui pourra se dévoiler au travers de la narration.
Médiatrice car la narration trouve ici un rôle majeur pour permettre à la personne douloureuse de cheminer en éclairant une autre personne qui lui offre une disponibilité d’accueil et l’écoute : une médiation interhumaine bénéfique et féconde ; une algologie narrative. En s’appuyant sur son imagination, ses représentations, sa culture et ses expériences douloureuses antérieures, la personne tente toujours de dire quelque chose de ce qu’elle éprouve. Encouragée et soutenue, la narration devient médiatrice en ouvrant la possibilité à l’informe de progressivement prendre une forme singulière ; en cela elle porte un potentiel de liberté (9).
EN PRATIQUE
• S’arrêter : arrêter toute activité en cours pour accueillir celui qui vient à nous.
• Ecouter : ne pas l’interroger mais se taire pour lui permettre de déployer sa narration. Ne pas rassurer, ni interpréter, ni conseiller : écouter !
• S’intéresser à ce que la personne raconte en manifestant notre intérêt.
• Repérer prudemment dans cette narration ce qui pourrait éclairer le sens de ce message adressé.
COMMENT EN RECHERCHER LE SENS ?
Pour permettre que la rencontre de la personne douloureuse chronique soit bénéfique et apaisante, nous devons lui permettre de rechercher le sens du message indicible qu’elle adresse à autrui sous la forme de douleurs chroniques.
Pour lire la suite...
NOTES
1. Simonnet G., Laurent B., Le Breton D., « L’Homme douloureux », Odile Jacob, 2018, p. 9.
2. Gide A., « L’immoraliste », Mercure de France, « Folio », 1902, p. 60.
3. Le Breton D., « Anthropologie de la douleur », Métailié, 1995, p. 25.
4. Arendt H., « Condition de l’homme moderne », Calmann-Levy, « Pocket », 1983, p. 91.
5. Canguilhem G., « Le normal et le pathologique », op. cit., p. 56.
6. Illich I., « Némésis médicale. L’expropriation de la santé », Fayard, 2003, p. 238.
7. Ricoeur P., « Approches de la personne », Revue « Esprit », mars-avril 1990, pp. 115-130.
8. Raimbault G., « Clinique du réel, la psychanalyse et les frontières du médical », Seuil, 1982, p. 27.
9. Reynier G., « Le hors-temps de la douleur chronique », Revue « Topique », 2010, n° 112, p. 99-117.
10. Husserl E., « Sur l’intersubjectivité », op. cit., tome II, p. 323.
11. Màrai S., « La sœur », Albin Michel, 2011, p. 221.
Pr Gérard OSTERMANN Professeur de thérapeutique, médecine interne, psychothérapeute. Administrateur de la Société française d’alcoologie, responsable du diplôme d’université de Pathologie de l’oralité, Bordeaux 2.
Dr Charles JOUSSELLIN Médecin et philosophe, chef de service de soins palliatifs, CHU Bichat - Paris (France),
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°74 version Papier N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv. 2025
Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Comme pour Georges Canguilhem, « il nous paraît tout à fait important qu’un médecin proclame que l’homme fait sa douleur comme il fait une maladie ou un deuil – bien plutôt qu’il ne la reçoit, ou ne la subit » (5). Méfions-nous de tenter d’objectiver la douleur avec pour projet de la mesurer, de la discerner pour tenter de la maîtriser : illusion scientifique réductrice et déshumanisante. Nous ne rencontrons jamais une douleur mais toujours une personne douloureuse. Ne confondons pas un symptôme avec l’expérience singulière d’une personne riche de son histoire et de sa culture.
« Expérience intime et incommunicable » (6), la douleur est pour autant indéniable même lorsqu’elle est dite chronique, vécue depuis plus de six mois, et inexplicable objective- ment. Cette douleur dite chronique, ou plus exactement cette personne douloureuse de- puis plus de six mois, changée et dégradée, se plaint à une autre personne, c’est une adresse à autrui, un message adressé... Comment accueillir ce message ? Comment en rechercher le sens ?
COMMENT ACCUEILLIR CE MESSAGE ?
Nous devons accueillir ce message adressé, ce que la personne douloureuse raconte de son histoire et de son vécu : ce qu’elle dit et ce qu’elle montre. Cette narration est primordiale, première, signifiante et médiatrice.
Primordiale car elle est constitutive de la nature humaine. Sans cette possibilité de raconter et de se raconter, l’homme serait pauvre en relation alors qu’il est constitutionnellement un être de relation. Nous rencontrons toujours une autre personne « au travers » d’innombrables interactions subjectives réciproques, singulières pour chacun ; rencontre imprévisible et modelée par les enjeux et les circonstances.
Première car toute personne, sujet agissant et souffrant, ne raconte pas seulement ce qu’elle expérimente – quoi ? – et la raison pour laquelle elle le raconte – pourquoi ? –, elle se raconte elle-même, elle fait part de son identité par la narration ; c’est l’identité narrative décrite par Paul Ricoeur (7). C’est-à-dire que la personne se désigne elle-même non pas seulement par qui suis-je ? mais aussi par que suis-je ? C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement d’écouter, mais aussi et sur- tout d’accueillir cette narration au sens d’être présent, disponible, attentif et intéressé.
Signifiante car, radicalement subjective par nature, vive, vivante, la narration fait advenir un sens ; certes non sans parfois des difficultés et des incertitudes quant à la mise en œuvre de cette narration. Celle-ci permet de transformer les forces de la vie intime en leur donnant une sorte de réalité, une certaine apparence, un sens. La narration permet d’éclairer « ce symptôme (douleur) par le discours de ce patient et ne plus lire à travers la grille scientifique qui réduit chaque corps à un corps anonyme » (8). Toute maladie et toute douleur représentent aussi un phénomène socioculturel signifiant qui pourra se dévoiler au travers de la narration.
Médiatrice car la narration trouve ici un rôle majeur pour permettre à la personne douloureuse de cheminer en éclairant une autre personne qui lui offre une disponibilité d’accueil et l’écoute : une médiation interhumaine bénéfique et féconde ; une algologie narrative. En s’appuyant sur son imagination, ses représentations, sa culture et ses expériences douloureuses antérieures, la personne tente toujours de dire quelque chose de ce qu’elle éprouve. Encouragée et soutenue, la narration devient médiatrice en ouvrant la possibilité à l’informe de progressivement prendre une forme singulière ; en cela elle porte un potentiel de liberté (9).
EN PRATIQUE
• S’arrêter : arrêter toute activité en cours pour accueillir celui qui vient à nous.
• Ecouter : ne pas l’interroger mais se taire pour lui permettre de déployer sa narration. Ne pas rassurer, ni interpréter, ni conseiller : écouter !
• S’intéresser à ce que la personne raconte en manifestant notre intérêt.
• Repérer prudemment dans cette narration ce qui pourrait éclairer le sens de ce message adressé.
COMMENT EN RECHERCHER LE SENS ?
Pour permettre que la rencontre de la personne douloureuse chronique soit bénéfique et apaisante, nous devons lui permettre de rechercher le sens du message indicible qu’elle adresse à autrui sous la forme de douleurs chroniques.
Pour lire la suite...
NOTES
1. Simonnet G., Laurent B., Le Breton D., « L’Homme douloureux », Odile Jacob, 2018, p. 9.
2. Gide A., « L’immoraliste », Mercure de France, « Folio », 1902, p. 60.
3. Le Breton D., « Anthropologie de la douleur », Métailié, 1995, p. 25.
4. Arendt H., « Condition de l’homme moderne », Calmann-Levy, « Pocket », 1983, p. 91.
5. Canguilhem G., « Le normal et le pathologique », op. cit., p. 56.
6. Illich I., « Némésis médicale. L’expropriation de la santé », Fayard, 2003, p. 238.
7. Ricoeur P., « Approches de la personne », Revue « Esprit », mars-avril 1990, pp. 115-130.
8. Raimbault G., « Clinique du réel, la psychanalyse et les frontières du médical », Seuil, 1982, p. 27.
9. Reynier G., « Le hors-temps de la douleur chronique », Revue « Topique », 2010, n° 112, p. 99-117.
10. Husserl E., « Sur l’intersubjectivité », op. cit., tome II, p. 323.
11. Màrai S., « La sœur », Albin Michel, 2011, p. 221.
Pr Gérard OSTERMANN Professeur de thérapeutique, médecine interne, psychothérapeute. Administrateur de la Société française d’alcoologie, responsable du diplôme d’université de Pathologie de l’oralité, Bordeaux 2.
Dr Charles JOUSSELLIN Médecin et philosophe, chef de service de soins palliatifs, CHU Bichat - Paris (France),
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Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Catégories: Hypnose Ericksonienne Thérapie Brève
Palo Alto, le traumatisme et la PTR.
Mieux comprendre le SSPT (ou PSTD Syndrome de Stress Post-Traumatique) grâce aux tentatives de solution. Pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
J’ai eu la chance de passer une année entière (1983-1984) au Mental Research Institute de Palo Alto avec « les trois grands » : John Weakland, Paul Watzlawick et Richard Fisch, et de m’imprégner de la rigueur et de la précision de leur modèle de travail grâce à leurs enseignements. J’ai profité de ce séjour pour me former aussi à l’hypnose ericksonienne auprès de différents formateurs et praticiens dans la région de San Francisco et en Arizona.
Peu après, en 1985, j’ai rencontré Madame Kay Thompson, amie de Milton Erickson et collaboratrice de celui-ci durant trente ans. (Elle reçut de lui en plus de son enseignement la direction de l’« American Journal of Clini- cal Hypnosis ».) Cette rencontre bouleversera ma pratique de l’hypnose.
Kay Thompson m’apprit comment travailler avec un patient qui est en hypnose et est in- vité à parler, réagir et travailler activement sur son système nerveux autonome...
Jusque- là, fidèle aux enseignements de la Milton H. Erickson Foundation, j’avais appris à débiter des métaphores aux suggestions indirectes à un patient muet et inactif. Pour la première fois avec Kay Thompson, je pus expérimenter une hypnose conversationnelle au sens premier du terme, durant laquelle un échange verbal permanent avait lieu, où elle m’invitait à agir sur mon système nerveux autonome, mes émotions et sensations corporelles. Depuis cette époque, je considère cette manière de faire comme un prérequis indispensable pour effectuer un travail protecteur, particulièrement sur des souffrances énormes comme celles rencontrées dans les traumas.
Si dès ses débuts ma pratique de l’hypnose s’associait déjà avec bonheur à la thérapie brève, lorsqu’il était question de soigner des patients atteints de Syndrome de stress post-traumatique (SSPT), j’étais franchement démuni. Avec l’arrivée de l’EMDR, ma pratique a nettement progressé et l’affinement des traitements des SSPT m’a passionné. Au fil du temps, lors de cas sévères traités par l’EMDR, j’ai observé que parfois de trop grandes explosions émotionnelles avaient lieu, que certains des aspects du traitement n’avaient pas abouti et, plus grave encore, que des déplacements psychosomatiques avaient lieu. C’était en tant que « protections »... mais cela je ne le comprenais pas encore.
Le développement de ce qui allait devenir la Psychothérapie du trauma réassociative (PTR) (2) découle de la mise en parallèle de la notion de « tentative de solution », concept central pour Palo Alto, et des phénomènes hypnotiques dissociatifs involontaires créés qui apparaissent lors du choc traumatique. Ceux-ci sont à la base de la formation du Syndrome de stress post-traumatique.
PHÉNOMÈNES HYPNOTIQUES ET TRAUMA.
Une bonne solution (souvent incomprise)... qui vire au cauchemar !
Lors d’incidents traumatiques, des phénomènes hypnotiques dissociatifs s’abattent subitement sur la personne pour la protéger en lui permettant une mise à distance émotionnelle. C’est pourquoi en PTR nous parlons alors de protections dissociatives. La victime sera éventuellement pétrifiée (catalepsie), anesthésiée (« je n’ai rien senti »), dissociée (« j’étais comme collée au plafond... »), dépersonnalisée (« ... et me regardais en bas, comme si j’étais quelqu’un d’autre... »), et « je n’avais aucun sentiment (anesthésie émotionnelle), quand il a sorti une arme, je me suis sentie comme morte ». « J’ai oublié tout cela jusqu’à il y a quelques années (amnésie), et j’ai développé une polyarthrite rhumatoïde » (psychosomatique (3) qui transforme les émotions, la terreur par exemple, en douleur physique), etc.
Dans la suite de la vie du patient, les phénomènes sont là en permanence à bas bruit et dès qu’une stimulation interne ou externe réactive le trauma, toutes les protections dissociatives se réveillent. Elles s’intensifient. Tout ce qui était protection à l’origine est souvent vécu par le patient comme autant de symptômes invalidants, intempestifs et incontrôlables. L’inconscient continue de tenter de le protéger... mais avec une artillerie lourde qui n’a maintenant plus raison d’être. Par exemple, la personne abusée dans son enfance peut subitement se retrouver anesthésiée physiquement, sortir de son corps et se regarder d’en haut comme si elle était quelqu’un d’autre, et éventuellement n’avoir aucune émotion.
De même, pour le thérapeute qui ne serait pas initié à la PTR, l’apparition de ces phénomènes hypnotiques – que nous avons appelés protections dissociatives (recadrage ou réalité ?) pour en souligner la fonction positive – peut apparaître comme un frein, une résistance : la personne ne ressent rien ou ne se rappelle pas, elle plonge dans le mutisme ou... On peut alors parler ici de tentatives de solution – au sens de Palo Alto – hypnotiques, donc ici involontaires et inconscientes.
Si, comme suggéré par Milton H. Erickson, on s’associe, on intensifie ce qui apparaît comme une résistance... il n’y a plus de résistance ! C’est ce que nous faisons en PTR, paradoxalement et contre-intuitivement, en demandant au patient d’augmenter (dans un premier temps) ces phénomènes hypnotiques dissociatifs, souvent inquiétants, voire effrayants, pour qu’il se rende maître de ce qu’il subissait jusque-là...
Ce premier « cadeau » (la maîtrise) est suivi d’un deuxième : les phénomènes hypnotiques une fois augmentés volontairement retrouvent vite leur fonction originelle protectrice.
Le deuxième « cadeau » (l’anesthésie) :
Pour lire la suite...
Gérald Brassine Psychothérapeute, formateur en hypnose et thérapie brève. Fon-dateur de l’Institut Milton H. Erickson de Belgique (1984) et de celui du Nord de la France.
Formations décisives auprès de P. Watzlawick, J. Weakland, R. Fisch, N. Cummings et Kay Thompson. Créateur de l’Hypnose conversationnelle stratégique-PTR. Auteur de : Faut-il parler de ça aux enfants ? Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels subis par les enfants ; La vengeance du Jaguar ; Pour une intervention écologique dans le cadre de l’inceste ; Viols et agressions sexuelles avec usage de stupéfiants.
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Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Peu après, en 1985, j’ai rencontré Madame Kay Thompson, amie de Milton Erickson et collaboratrice de celui-ci durant trente ans. (Elle reçut de lui en plus de son enseignement la direction de l’« American Journal of Clini- cal Hypnosis ».) Cette rencontre bouleversera ma pratique de l’hypnose.
Kay Thompson m’apprit comment travailler avec un patient qui est en hypnose et est in- vité à parler, réagir et travailler activement sur son système nerveux autonome...
Jusque- là, fidèle aux enseignements de la Milton H. Erickson Foundation, j’avais appris à débiter des métaphores aux suggestions indirectes à un patient muet et inactif. Pour la première fois avec Kay Thompson, je pus expérimenter une hypnose conversationnelle au sens premier du terme, durant laquelle un échange verbal permanent avait lieu, où elle m’invitait à agir sur mon système nerveux autonome, mes émotions et sensations corporelles. Depuis cette époque, je considère cette manière de faire comme un prérequis indispensable pour effectuer un travail protecteur, particulièrement sur des souffrances énormes comme celles rencontrées dans les traumas.
Si dès ses débuts ma pratique de l’hypnose s’associait déjà avec bonheur à la thérapie brève, lorsqu’il était question de soigner des patients atteints de Syndrome de stress post-traumatique (SSPT), j’étais franchement démuni. Avec l’arrivée de l’EMDR, ma pratique a nettement progressé et l’affinement des traitements des SSPT m’a passionné. Au fil du temps, lors de cas sévères traités par l’EMDR, j’ai observé que parfois de trop grandes explosions émotionnelles avaient lieu, que certains des aspects du traitement n’avaient pas abouti et, plus grave encore, que des déplacements psychosomatiques avaient lieu. C’était en tant que « protections »... mais cela je ne le comprenais pas encore.
Le développement de ce qui allait devenir la Psychothérapie du trauma réassociative (PTR) (2) découle de la mise en parallèle de la notion de « tentative de solution », concept central pour Palo Alto, et des phénomènes hypnotiques dissociatifs involontaires créés qui apparaissent lors du choc traumatique. Ceux-ci sont à la base de la formation du Syndrome de stress post-traumatique.
PHÉNOMÈNES HYPNOTIQUES ET TRAUMA.
Une bonne solution (souvent incomprise)... qui vire au cauchemar !
Lors d’incidents traumatiques, des phénomènes hypnotiques dissociatifs s’abattent subitement sur la personne pour la protéger en lui permettant une mise à distance émotionnelle. C’est pourquoi en PTR nous parlons alors de protections dissociatives. La victime sera éventuellement pétrifiée (catalepsie), anesthésiée (« je n’ai rien senti »), dissociée (« j’étais comme collée au plafond... »), dépersonnalisée (« ... et me regardais en bas, comme si j’étais quelqu’un d’autre... »), et « je n’avais aucun sentiment (anesthésie émotionnelle), quand il a sorti une arme, je me suis sentie comme morte ». « J’ai oublié tout cela jusqu’à il y a quelques années (amnésie), et j’ai développé une polyarthrite rhumatoïde » (psychosomatique (3) qui transforme les émotions, la terreur par exemple, en douleur physique), etc.
Dans la suite de la vie du patient, les phénomènes sont là en permanence à bas bruit et dès qu’une stimulation interne ou externe réactive le trauma, toutes les protections dissociatives se réveillent. Elles s’intensifient. Tout ce qui était protection à l’origine est souvent vécu par le patient comme autant de symptômes invalidants, intempestifs et incontrôlables. L’inconscient continue de tenter de le protéger... mais avec une artillerie lourde qui n’a maintenant plus raison d’être. Par exemple, la personne abusée dans son enfance peut subitement se retrouver anesthésiée physiquement, sortir de son corps et se regarder d’en haut comme si elle était quelqu’un d’autre, et éventuellement n’avoir aucune émotion.
De même, pour le thérapeute qui ne serait pas initié à la PTR, l’apparition de ces phénomènes hypnotiques – que nous avons appelés protections dissociatives (recadrage ou réalité ?) pour en souligner la fonction positive – peut apparaître comme un frein, une résistance : la personne ne ressent rien ou ne se rappelle pas, elle plonge dans le mutisme ou... On peut alors parler ici de tentatives de solution – au sens de Palo Alto – hypnotiques, donc ici involontaires et inconscientes.
Si, comme suggéré par Milton H. Erickson, on s’associe, on intensifie ce qui apparaît comme une résistance... il n’y a plus de résistance ! C’est ce que nous faisons en PTR, paradoxalement et contre-intuitivement, en demandant au patient d’augmenter (dans un premier temps) ces phénomènes hypnotiques dissociatifs, souvent inquiétants, voire effrayants, pour qu’il se rende maître de ce qu’il subissait jusque-là...
Ce premier « cadeau » (la maîtrise) est suivi d’un deuxième : les phénomènes hypnotiques une fois augmentés volontairement retrouvent vite leur fonction originelle protectrice.
Le deuxième « cadeau » (l’anesthésie) :
Pour lire la suite...
Gérald Brassine Psychothérapeute, formateur en hypnose et thérapie brève. Fon-dateur de l’Institut Milton H. Erickson de Belgique (1984) et de celui du Nord de la France.
Formations décisives auprès de P. Watzlawick, J. Weakland, R. Fisch, N. Cummings et Kay Thompson. Créateur de l’Hypnose conversationnelle stratégique-PTR. Auteur de : Faut-il parler de ça aux enfants ? Prévenir, détecter et gérer les abus sexuels subis par les enfants ; La vengeance du Jaguar ; Pour une intervention écologique dans le cadre de l’inceste ; Viols et agressions sexuelles avec usage de stupéfiants.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°75 version Papier N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv. 2025
Les interactions pour favoriser un changement.
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
La présence. Dr Adrian CHABOCHE pour la Revue Hypnose et Thérapies Brèves 75.
« Si la mécanique quantique ne vous a pas encore profondément choqué, alors vous ne l’avez pas encore comprise. Tout ce que nous appelons réel est fait de choses qui ne peuvent pas être considérées comme étant réelles. Si une idée ne semble pas bizarre, il n’y a rien à espérer d’elle. » Niels Bohr, prix Nobel de physique 1922
Chères lectrices, chers lecteurs, Je vais vous parler d’une expérience hypnotique avec une patiente qui fait partie de celles qu’on aimerait raconter, ou plutôt même conter, à côté d’une cheminée dans une ambiance feutrée, en présence de personnes tout à la fois très rationnelles mais prêtes à être surprises des effets étonnants que peut avoir l’hypnose. Celle qui nous sur- prend toujours davantage, surtout lorsque nous laissons apparaître dans l’entrebâille- ment de nos techniques et expériences qui se cumulent toujours de trop, l’ineffable surprise d’un instantané qui rend compte à quel point l’hypnose se doit d’être régénérée... parfois autant pour le praticien que le patient ! Là ou nos patients nous bousculent, le praticien progresse... Car comme vous l’avez éprouvé, comme tous, et comme le disait avec humour Milton Erickson, lorsque nous tentons de copier, de faire comme certaines techniques qu’utilisent les autres, c’est souvent... un désastre !
Mais vous savez aussi tout autant que moi à quel point notre savoir, celui qui englobe tout à la fois toute notre technique, celle que nous avons apprise, celle que nous avons acquise au cours de notre expérience, et puis aussi ne jamais négliger cet autre Savoir, qui est le savoir-être, cette capacité que nous avons d’accueillir l’autre avec un grand A. Tout ce savoir finalement est un ensemble dynamique, vivant, qui respire tel un inspire et un expire, nous passons notre temps à nous inspirer des autres, certes, et aussi à expirer. Ce que nous oublions trop souvent lorsque nous sommes jeunes (ndlr, donc jusque environ 80 ans) : il nous faut régulièrement nous rappeler de devoir... oublier ! Oui, se rappeler d’oublier, pour évacuer, lâcher nos connais- sances trop doctes, trop certaines, souvent rassurantes, mais qui à un moment ne respirent plus.
L’inventivité et la spontanéité de l’hypnose viennent lorsque le vide s’installe. Lorsque de nos musiques intérieures avec ces phrases pleines de jolies suggestions que nous apprenons à répéter jusqu’à atteindre la sonorité la plus juste, le silence puisse s’installer entre deux notes de musique pour que l’oreille puisse alors entendre de nouveau. Ce que nous savons de trop, nous l’exécutons par mécanique : nos neurones sont si bien connectés que cela devient un réflexe. Les réflexes sont ce qui nous permet de gagner du temps, de l’énergie aussi, mais les réflexes ont plus à voir avec la survie qu’avec l’inventivité... Alors, parfois, ne vous sentez pas seul dans votre fauteuil de travail, confortable, bien installé, parfois même un peu tassé, engourdi, engoncé dans nos connaissances, à tourner le dos à cette petite crainte qui survient à la pointe de l’épigastre, en bas du sternum. Celle qui fait un peu peur, qui est inconfortable, qui nous indique qu’à ce moment nous ne savons plus trop quoi faire avec ce patient assis(e) en face de nous. Vous l’avez déjà vécu, n’ayez pas loin à chercher dans votre mémoire. Mais si cela vous semble lointain, alors je vous encourage vraiment à vous rappeler d’oublier, expirer vos connaissances, et revenez au point de départ : celui où on ne sait pas.
Nous en parlons que trop rarement ! Ce moment de « manque d’inspiration », où « ça n’accroche pas », comme on dit, ou plein d’idées nous viennent mais pas les bonnes. On sent que la note n’est pas juste, que la musique que nous pourrions jouer d’un réflexe serait celle justement qui ne serait plus spontanée ni nouvelle, mais déjà utilisée, déjà usitée, et beaucoup périmée finalement. Reconnaissez-vous et acceptez, car cela nous fait un lit commun. Ces moments ne sont pas des plus agréables et, nécessairement, nous cherchons par toute bonne stratégie d’adap- tation à les éviter. Evidemment, nous ne nous pouvons pas non plus passer notre temps et nos journées à nous réinventer. De nos lignes droites mentales, faites de certitudes, il faut aussi savoir provoquer des carrefours interrogateurs afin de nous rencontrer à nouveau.
Alors il y a Madeleine, assise devant moi. Ce n’est pas toujours habituel de recevoir des personnes qui vont vers le double de notre propre âge. Et puis Madeleine, elle est si surprenante dans son accoutrement fait de couleurs vives et d’un nœud enfantin dans les cheveux, d’un maquillage un peu trop ostensible, sa façon de me dire à quel point les psychologues n’ont vraiment rien compris à la question de l’inconscient, elle surprend, fascine, et agace tout en même temps. Peut-être est-ce par ce tout que je ne sais pas trop quoi faire. Pourtant Madeleine, elle a tous ces symptômes qui devraient me faire réagir, m’inspirer, me guider vers telle ou telle tech- nique : elle me décrit ses troubles du com- portement alimentaire, aussi anciens que son sentiment de tourner en rond avec depuis des dizaines d’années, elle me laisse apercevoir, dans l’entrebâillement subtil de sa narration et de ses curieuses provocations, tantôt des troubles de l’alcool, ici des vomissements forcés, là quelques autres traumatismes, peut-être des agressions sexuelles...
Pourtant, rien n’y fait. Je n’accroche pas, je ne sais pas. Je le sais, et le mets bien dans ma conscience, tout au devant...
Pour lire la suite...
Dr Adrian CHABOCHE Spécialiste en médecine générale et globale au Centre Vitruve. Il est praticien attaché au Centre de traitement de la douleur CHU Ambroise-Paré. Il enseigne au sein du DU Hypnoanalgésie et utilisation de techniques non pharmacologiques dans le traitement de la douleur, Université de Versailles.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°75 version Papier N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv. 2025
Les interactions pour favoriser un changement
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
Chères lectrices, chers lecteurs, Je vais vous parler d’une expérience hypnotique avec une patiente qui fait partie de celles qu’on aimerait raconter, ou plutôt même conter, à côté d’une cheminée dans une ambiance feutrée, en présence de personnes tout à la fois très rationnelles mais prêtes à être surprises des effets étonnants que peut avoir l’hypnose. Celle qui nous sur- prend toujours davantage, surtout lorsque nous laissons apparaître dans l’entrebâille- ment de nos techniques et expériences qui se cumulent toujours de trop, l’ineffable surprise d’un instantané qui rend compte à quel point l’hypnose se doit d’être régénérée... parfois autant pour le praticien que le patient ! Là ou nos patients nous bousculent, le praticien progresse... Car comme vous l’avez éprouvé, comme tous, et comme le disait avec humour Milton Erickson, lorsque nous tentons de copier, de faire comme certaines techniques qu’utilisent les autres, c’est souvent... un désastre !
Mais vous savez aussi tout autant que moi à quel point notre savoir, celui qui englobe tout à la fois toute notre technique, celle que nous avons apprise, celle que nous avons acquise au cours de notre expérience, et puis aussi ne jamais négliger cet autre Savoir, qui est le savoir-être, cette capacité que nous avons d’accueillir l’autre avec un grand A. Tout ce savoir finalement est un ensemble dynamique, vivant, qui respire tel un inspire et un expire, nous passons notre temps à nous inspirer des autres, certes, et aussi à expirer. Ce que nous oublions trop souvent lorsque nous sommes jeunes (ndlr, donc jusque environ 80 ans) : il nous faut régulièrement nous rappeler de devoir... oublier ! Oui, se rappeler d’oublier, pour évacuer, lâcher nos connais- sances trop doctes, trop certaines, souvent rassurantes, mais qui à un moment ne respirent plus.
L’inventivité et la spontanéité de l’hypnose viennent lorsque le vide s’installe. Lorsque de nos musiques intérieures avec ces phrases pleines de jolies suggestions que nous apprenons à répéter jusqu’à atteindre la sonorité la plus juste, le silence puisse s’installer entre deux notes de musique pour que l’oreille puisse alors entendre de nouveau. Ce que nous savons de trop, nous l’exécutons par mécanique : nos neurones sont si bien connectés que cela devient un réflexe. Les réflexes sont ce qui nous permet de gagner du temps, de l’énergie aussi, mais les réflexes ont plus à voir avec la survie qu’avec l’inventivité... Alors, parfois, ne vous sentez pas seul dans votre fauteuil de travail, confortable, bien installé, parfois même un peu tassé, engourdi, engoncé dans nos connaissances, à tourner le dos à cette petite crainte qui survient à la pointe de l’épigastre, en bas du sternum. Celle qui fait un peu peur, qui est inconfortable, qui nous indique qu’à ce moment nous ne savons plus trop quoi faire avec ce patient assis(e) en face de nous. Vous l’avez déjà vécu, n’ayez pas loin à chercher dans votre mémoire. Mais si cela vous semble lointain, alors je vous encourage vraiment à vous rappeler d’oublier, expirer vos connaissances, et revenez au point de départ : celui où on ne sait pas.
Nous en parlons que trop rarement ! Ce moment de « manque d’inspiration », où « ça n’accroche pas », comme on dit, ou plein d’idées nous viennent mais pas les bonnes. On sent que la note n’est pas juste, que la musique que nous pourrions jouer d’un réflexe serait celle justement qui ne serait plus spontanée ni nouvelle, mais déjà utilisée, déjà usitée, et beaucoup périmée finalement. Reconnaissez-vous et acceptez, car cela nous fait un lit commun. Ces moments ne sont pas des plus agréables et, nécessairement, nous cherchons par toute bonne stratégie d’adap- tation à les éviter. Evidemment, nous ne nous pouvons pas non plus passer notre temps et nos journées à nous réinventer. De nos lignes droites mentales, faites de certitudes, il faut aussi savoir provoquer des carrefours interrogateurs afin de nous rencontrer à nouveau.
Alors il y a Madeleine, assise devant moi. Ce n’est pas toujours habituel de recevoir des personnes qui vont vers le double de notre propre âge. Et puis Madeleine, elle est si surprenante dans son accoutrement fait de couleurs vives et d’un nœud enfantin dans les cheveux, d’un maquillage un peu trop ostensible, sa façon de me dire à quel point les psychologues n’ont vraiment rien compris à la question de l’inconscient, elle surprend, fascine, et agace tout en même temps. Peut-être est-ce par ce tout que je ne sais pas trop quoi faire. Pourtant Madeleine, elle a tous ces symptômes qui devraient me faire réagir, m’inspirer, me guider vers telle ou telle tech- nique : elle me décrit ses troubles du com- portement alimentaire, aussi anciens que son sentiment de tourner en rond avec depuis des dizaines d’années, elle me laisse apercevoir, dans l’entrebâillement subtil de sa narration et de ses curieuses provocations, tantôt des troubles de l’alcool, ici des vomissements forcés, là quelques autres traumatismes, peut-être des agressions sexuelles...
Pourtant, rien n’y fait. Je n’accroche pas, je ne sais pas. Je le sais, et le mets bien dans ma conscience, tout au devant...
Pour lire la suite...
Dr Adrian CHABOCHE Spécialiste en médecine générale et globale au Centre Vitruve. Il est praticien attaché au Centre de traitement de la douleur CHU Ambroise-Paré. Il enseigne au sein du DU Hypnoanalgésie et utilisation de techniques non pharmacologiques dans le traitement de la douleur, Université de Versailles.
Commandez la Revue Hypnose & Thérapies brèves n°75 version Papier N°75 : Nov. / Déc. 2024 / Janv. 2025
Les interactions pour favoriser un changement
Julien Betbèze, rédacteur en chef, nous présente ce n°75 :
Si l’hypnose ericksonienne est une hypnose relationnelle, cela implique que le lieu d’habitation du corps soit la relation. Ainsi, lorsque la relation est vivante, le sujet vit une expérience corporelle où spontanément il accueille ses ressentis sensoriels, est en capacité de prendre des initiatives. En ce sens, le travail sur les interactions est primordial pour favoriser un changement.
. Guillaume Delannoy, dans un article très pédagogique, nous montre à partir de quatre situations cliniques – douleur psychosomatique, jalousie entre sœurs, obésité morbide, angoisse de mort et tics nerveux – comment la modification des interactions permet l’activation des processus de réassociation. L’auteur, avec la participation de Vania Torres-Lacaze, souligne l’importance du travail de co-thérapie pour rendre possible le changement.
. Delphine Le Gris nous raconte l’histoire de Sophie dont la vie est parcourue de relations insécures et qui cherche une solution à son problème d’insomnie. Elle nous décrit une séance d’hypnose avec un coffre-fort fermé à clé qui va lui permettre d’y enfermer ses ruminations et de retrouver un sentiment de protection.
. L’importance de l’humour est au centre du texte de Solen Chezalviel, dont la créativité ouvre une petite lumière dans un monde empli de noirceur.
. David Vergriete, avec sa grande expérience de prise en charge des addictions, évoque, à travers le cas de Guillaume souffrant d’alcoolisme chronique, l’importance de la qualité relationnelle et la nécessité d’interroger la question du sens et de la trajectoire existentielle.
. Introduction Espace Douleur Douceur.
. Dans l’espace ''Douleur Douceur'', Fabrice Lakdja et Gérard Ostermann nous parlent de la remédiation antalgique. Le retraitement de la douleur vise à réattribuer la douleur à des voies cérébrales réversibles et non dangereuses et à considérer la douleur comme une fausse alarme et non comme la signature de lésions tissulaires.
. Maryne Durieupeyroux nous emmène à la rencontre de Pablo, jeune homme pris en charge en soins palliatifs pour des métastases multiples. Elle utilise le ''gant magique'' et évalue les réactions du patient au fur et à mesure de son travail.
. Charles Joussellin et Gérard Ostermann : Accueillir, écouter et favoriser un effort de narration doivent être au centre de nos prises en charge. La question du sens, de l’anthropologie, sont indispensables à nos métiers de thérapeutes.
. A partir d’un atelier avec Roxanna Erickson-Klein, Evelyne Josse montre l’importance des métaphores pour focaliser l’attention du patient et remettre la vie des sujets en mouvement. Roxanna utilise la métaphore de l’embarquement à bord d’un train pendant qu’Evelyne se laisse bercer par les mots et, dans cet état de transe, développe sa créativité. Les métaphores nous incitent ainsi à reconsidérer, réélaborer et réévaluer nos expériences en ouvrant de nouvelles possibilités pour redevenir auteurs de nos vies.
. Jean-Marc Benhaiem nous décrit la manière dont il comprend la logique de l’intervention en hypnose. Il nous parle des trois modes d’être : mental, sensoriel et confusionnel. Le déséquilibre entre ces modes s’installe au sein des relations dysfonctionnelles, lorsque le sujet, pour se défendre, privilégie un mode au détriment des deux autres. A travers plusieurs situations cliniques, il fait le lien entre l’excès du mental et le contrôle excessif. Pour le thérapeute, il s’agit d’aider le patient à passer de la rigidité à la fluidité, en retrouvant un corps présent.
Les rubriques :
. Sophie Cohen : Christelle et la trichotillomanie en question
. Adrian Chaboche : La présence
. Stefano Colombo et Muhuc : Voyage
. Psychotrauma, PTR, EMDR
. Sylvie Le Pelletier-Beaufond : Le souffle de la guérison au Népal
. Livres en bouche
. Résumé
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